PRAGMAMEDIA-LOGO

Ouganda – Tanzanie : Total pourrait engendrer 118.000 déplacés

Ouganda – Tanzanie : Total pourrait engendrer 118.000 déplacés

Contrairement à certaines idées reçues, les grands groupes français n’investissent que très peu en Afrique de l’Ouest. C’est à l’opposé du continent que les projets les plus ambitieux sont menés. L’un d’eux fait l’objet d’un rapport d’information par Les Amis de la Terre en collaboration avec quatre associations ougandaises. Actuellement en procès contre le géant des énergies.

Les faits : Une enquête sur le projet d’oléoduc géant

Total souhaite construire 400 puits de pétrole en Ouganda. Le projet s’accompagne d’un oléoduc de 1443 kilomètres qui traverse la Tanzanie. Après plusieurs années de conflit avec les populations locales des accords furent prononcés en vue de dédommager les personnes présentes sur le parcours. Le cœur de l’enquête de terrain menée par Les Amis de la Terre, AFIEGO, CRED et NAVODA concerne l’impact sur ces populations. Les premiers témoignages exposent une négociation conduite sous la contrainte.

Deux ans après les premiers bornages, le versement des indemnités est critiqué. Total Energie nous indique qu’aucune évacuation ne sera prononcée avant 2023 et que les négociations se poursuivent pour les dossiers qui ne sont pas signés.

Le projet pétrolier s’intitule East African Crude Oil Pipeline (EACOP). Il est réalisé en coopération avec le groupe chinois CNOOC. Le document associatif indique « Au total, ce mégaprojet implique l’expropriation d’environ 118000 personnes tout le long de son parcours, principalement des populations paysannes dépendant de leurs terres pour vivre. ». Total conteste cette estimation et évoque 13158 déplacés.

S’ajoute des considérations écologiques. L’oléoduc traverse une zone d’activité sismique et plusieurs réserves naturelles. Il reste possible de limiter les risques de fuite mais la pratique de Total Énergie en Afrique a déjà démontré des insuffisances dans les investissements à même de sécuriser ses infrastructures. Un autre rapport des Amis de la Terre publié en 2012 souligne au sujet des activités de Total dans le Delta du Niger «  Ces visites ont été réalisées suite aux défaillances des pratiques d’exploitation de Total ayant mené à de multiples explosions de gaz au pringtemps 2012 au sein du territoire Egi ».

Mahaman Laouan Gaya, Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains dénonce en 2018 la forte pollution aux hydrocarbures sur le Continent africain, qui représente 12 % de la production mondiale de pétrole. Pour lui le problème dépend de la main mise de grands groupes sur la chaîne de production, de transformation et d’exportation. Qui permet de limiter les alertes et les contrôles.
Cette pollution concerne les vibrations, les torchères en activité depuis des décennies et les émissions de CO2. Ces effets pervers sont difficiles à limiter. Mais s’ajoute le problème majeur d’infrastructures qui dépérissent. « Un autre phénomène de la pollution pétrolière en Afrique est la corrosion des oléoducs, un mauvais entretien des infrastructures, des erreurs humaines » souligne Laouan Gaya. C’est un point redouté par les ougandais et tanzaniens.

Pour les associations suivant ces risques environnementaux, la situation renforce les crises sociales et les conflits armées. Par l’expropriation et la privation de moyen de subsistance, on offre une occasion de recrutements en faveur des groupes armés et du banditisme. Situation emblématique de la Corne de l’Afrique où la piraterie s’est intensifiée par les restrictions d’accès aux ressources maritimes et agricoles.

En 2009 Amnesty International publie déjà un rapport intitulé «Pétrole, Pollution et Pauvreté dans le Delta du Niger. Pour Louan Gaya le document « montre que l’industrie pétrolière est responsable de la large pollution du Delta du Niger, ainsi que des violations des droits humains qui en découlent. » Suite au scandale de Total, Shell et ENI les entreprises énergétiques ont promis de s’engager vers plus de transparence et à respecter les normes environnementales et d’hygiène. Mais plusieurs actualités démontrent une situation qui favorise répression et injustice. La contestation contre ces grands projets conduit régulièrement vers le Poste de Police. C’est le cas pour Maxwell Atuhura  opposant ougandais au projet de Total, qui est arrêté en compagnie d’une journaliste en 2021. Il lui est reproché la participation à une manifestation illégale mais les policiers orientent l’interrogatoire sur ses motivations politiques.

Le contexte : Un procès contre Total Énergie

En 2019 Les Amis de la Terre, AFIEGO, CRED et NAVODA ont déposé plainte contre Total Énergie au nom de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

La démarche pose une pression sur le groupe français en l’alertant sur le fait qu’il ne sera pas facile de passer les dégâts environnementaux et sociaux sous la responsabilité de ses filiales. Le rapport publié ce mois ci a été remis à la Justice pour alimenter les échanges lors du procès prévu le 7 décembre à Paris.

La société EACOP Ltd mène le programme d’acquisition foncière  pour le compte du gouvernement des pays d’accueil. Total Energie précise que le projet est conforme aux lois en vigueur en Tanzanie et en Ouganda. Mais le collectif d’association interroge les choix du groupe de préférer le passage de l’oléoduc en Tanzanie plutôt qu’au Kenya « La législation locale ne protège pas les droits de propriété – alors que le projet implique le déplacement de dizaines de milliers de personnes ». Dans son droit de réponse Total explique que le projet  « est conduit dans le respect des standards de performance de la société financière internationale (IFC), dont le standard de performance n° 5 de l’IFC relative à l’acquisition de terres et à la réinstallation involontaire. Dix plans de relocalisation ont été établis pour expliquer les mesures […] aux personnes touchées par le processus d’acquisition foncière. »

Mais selon le rapport des Amis de la Terre, une partie de la population dénonce des indemnisations inférieures à la valeur de leur terre et des pressions multiples. Les sommes versées sont parfois inférieures à celles des accords signés.  Un témoin expose le type de manœuvre utilisée pour dévaluer les terres « Sur mon papier d’évaluation, ils ont juste écrit jachère buissonière, alors que j’ai exploité ces terres jusqu’à présent ».

 

Le banditisme s'intensifie lorsque les populations sont privées de leurs moyens de subsistance. Cas de la piraterie dans la Corne de l'Afrique.

Les associations ont aussi constaté l’existence de pression pour forcer les habitants à signer «  Avant je ne voulais pas signer ce document de compensation. Mais on m’a intimidé […] L’équipe de l’EACOP nous a dit que si nous ne signions pas, les terres seraient prises sans compensation, alors c’est pour cela que nous avons signé. » Au total, 72 personnes témoignent dans le rapport publié début octobre.