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Une réforme des retraites au dépens de l’assurance maladie ?

Une réforme des retraites au dépens de l’assurance maladie ?

réforme retraite assurance maladie
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En se fixant un objectif il convient de déterminer les éléments pouvant empêcher de l’atteindre. Dans le cadre de la réforme des retraites, visant à augmenter les recettes et cotisations sociales, une donnée est sous évaluée. Elle pourrait fragiliser la sécurité sociale. Il s’agit du risque d’augmentation des arrêts maladie de longue durée.

Les faits : Les données statistiques sur les arrêts maladie

La pénibilité est un élément utilisé pour interroger la réforme des retraites. Mais la pénibilité n’est pas seulement une difficulté qui joue sur l’endurance. C’est aussi une réalité déterminant le recours aux arrêts maladies de longue durée et le passage sous statut de travailleur handicapé.

Sur les accidents du travail, la montée en âge s’associe à une diminution des cas. D’après l’INSEE sur les chiffres de 2017, les 15-19 ans rencontrent 41 accident du travail par million d’heure de travail. Pour 13 accidents concernant les plus de 60 ans. Une statistique qui s’explique par la maturité et l’acquisition d’expérience.

Mais la tendance est inversée pour les chiffres du travail en situation de handicap. Au-delà de 60 ans, l’état de santé engendre plus souvent le passage sous ce statut. Un coût considérable pour l’État. Dans son rapport 2020 Emploi, chômage et revenu du travail, l’INSEE relève que «  la population handicapée en emploi est nettement plus âgée que la moyenne. »

En 2013 Sofaxis a réalisé une étude sur l’absentéisme des agents territoriaux. Dans son volet santé, on y découvre que 71 % des arrêts maladie concernent les plus de 40 ans. La durée de ces arrêts est fortement impacté par l’âge. Les plus de 60 ans s’arrêtent deux fois plus longtemps que les agents de 30 ans.

Les entreprises, conscientes de ces statistiques, craignent d’embaucher les classes d’âge les plus élevées. Mais au-delà de l’intérêt des entreprises, cette problématique pose des questions sur l’équilibre du budget par l’allongement de la durée de cotisation.

Le contexte : Quels impacts ont les arrêts maladie et le statut de travailleur handicapé ?

Lorsqu’un salarié est en arrêt maladie, les cotisations retraites sont arrêtées durant la période. En revanche au-delà de 60 jours d’indemnisation par votre caisse primaire d’assurance maladie, un trimestre est reporté sur votre relevé de carrière.

Autre conséquence de ces arrêts : la baisse de l’indemnité de retraite. Ce montant est calculé en fonction des 25 meilleurs années de salaire. Avec l’augmentation de revenu par les primes d’ancienneté, ce sont donc les années précédents la retraite qui sont les plus lucratives. Du moins sur le papier. Puisque l’augmentation des arrêts maladies dans cette période de la vie, réduit le revenu annuel, en même temps que les cotisations sociales.

Par ailleurs, l’année d’annulation de la décote, permettant une retraite à taux plein sans avoir cotisé 43 ans, reste fixée à 67 ans. Or de plus en plus de travailleurs connaissent des carrières irrégulières. On peut donc considérer que pour cette partie de la population, l’âge réel de départ à la retraite est fixé à 67 ans. Un cap où les cancers et invalidités sont légions.

Concernant les recettes de l’État, on pourrait donc assister à un transfert des coûts. Pour maintenir en activité les travailleurs de 62 à 64 ans en bonne santé, la réforme repose sur l’augmentation d’autres budgets. 50 % du salaire des travailleurs en arrêt étant financé par l’assurance maladie. Concernant l’emploi de travailleurs handicapés, l’État apporte aussi une contribution financière. Il s’agit à nouveau d’une dépense liée à l’âge, mais transférée hors des caisses de retraite.

Face à ces situations difficiles pour le salarié et pouvant effrayer les employeurs, la première ministre Elisabeth Borne met en avant les compétences des seniors et la transmission de savoir faire. Une approche intéressante du point de vue des relations inter-générationnelles, mais déconnectée du monde du travail. Puisque l’important taux de chômage des ainés repose entre autre sur l’obsolescence de leur compétence, dans une société avec des évolutions rapides. Et omet qu’une entreprise n’est pas un centre de formation, mais une structure visant la rentabilité.

L’exemple du voisin européen :

Cités par les soutiens à la réforme, l’allongement de l’âge de départ à la retraite dans plusieurs pays de l’Union Européenne est présenté comme la solution miracle face à la baisse du nombre de cotisants par retraités. Il serait donc intéressant d’inclure dans ces comparaisons, les effets déjà constatés par ces réformes. En Espagne depuis 2011, l’âge de départ à la retraite est repoussé de 6 mois chaque année pour atteindre 67 ans. Cette décision est prise sous le gouvernement de José Luis Zapatero.

Dans une étude publiée en juillet 2022 par le département de sciences sociales de Valladolid, Ruben Alvarez De Diego s’intéresse à la durée des arrêts maladie par tranche d’âge. La courbe augmente chaque année, au fur et à mesure de l’allongement de l’âge de départ à la retraite. En 2011 les plus de 60 ans prenaient en moyenne 40 jours d’arrêt maladie. En 2019 ils prennent en moyenne 47 jours d’arrêt maladie. Le chercheur explique : « Cette tendance s’associe aux lacunes dans les fonctions sensorielles, organiques et cognitives des seniors et un temps de récupération plus grand.»

Le bilan de l’étude précise « Les personnes de 60 ans et plus subiront une augmentation de la durée d’incapacité temporaire supérieure au groupe de référence que sont les personnes ayant un âge égal ou supérieur à 55 ans. »

Les contre mesures du gouvernement :

Dans le dossier de presse diffusé par le gouvernement en vue de défendre le projet de réforme, plusieurs mesures doivent contrer l’augmentation des arrêts maladies.

Tout d’abord les salariés pourront bénéficier d’un départ en retraite 2 ans avant l’âge légal, si ils ont subi un accident du travail ou une maladie professionnelle. Une mesurette, puisque de nombreuses pathologies liées à l’âge (arthrose, cancer, etc.) ne sont pas toujours considérées comme ayant une origine professionnelle.

Dans la continuité du dispositif actuel, les personnes en situation d’invalidité pourront partir à 62 ans et les travailleurs handicapés à 55 ans. Une solution salutaire pour ces situations extrêmes, mais qui ne répond pas à l’augmentation du nombre de jour d’arrêt maladie indexée sur le vieillissement de la population.

Autre mesure phare : « Davantage de salariés pourront bénéficier du compte professionnel de prévention avec plus de droits ». Ce point est confus. Elisabeth Borne précise le 10 janvier qu’il reviendra aux partenaires sociaux de mener ce chantier. Il n’y a donc aucune garantie.

Concernant la pénibilité, le personnel politique est trop éloigné du salariat pour mesurer les enjeux. Les modalités de calcul de la pénibilité sont viciées dans plusieurs secteurs d’activité. Sans être exhaustif voici quelques exemples : le travail de nuit est calculé entre 21H et 6H du matin. Un salarié qui travaille de 2H du matin à 10H est totalement décalé mais n’aura que 4H calculée avec une augmentation du taux horaire. Et pour obtenir les points de pénibilités, le salarié doit faire plus de 120 nuits dans l’année. Pour 119 nuits travaillées, la perte de santé est effective mais non compensée. C’est là qu’une annonce du décalage de l’âge de départ à la retraite, avant la réforme du compte pénibilité, constitue un risque.

Par ailleurs, le salarié n’est pas libre d’utiliser son compte pénibilité comme il le souhaite. En effet, un minimum de 20 points de pénibilité est réservé à la formation professionnelle. Impossible de les utiliser pour la conversion de trimestre retraite. Pour un travailleur de nuit, c’est donc 5 années de pénibilité à taux plein, qui sont automatiquement sortie du dispositif de retraite anticipée. Ne parlons même pas de la bataille procédurière à conduire avec son employeur lorsque celui ci refuse de comptabiliser certains facteurs. Que dire aussi des personnes approchant de la soixantaine et dont la majorité de la carrière s’est effectuée sans calcul des points de pénibilité ?

Le gouvernement annonce « un fond d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle doté d’un milliards d’euros sur le quinquennat. Il soutiendra les branches professionnelles pour identifier les métiers exposés aux risques ergonomiques. » Autrement dit, ces risques ne sont pas identifiés en amont de la réforme des retraites. En complément, le gouvernement annonce un suivi médical renforcé, alors même que les employeurs dénoncent les délais pour obtenir des rendez-vous avec la médecine du travail. Dans un contexte de saturation des services médicaux, difficile d’être convaincu par cette promesse.

Au delà des positions partisanes, l’état actuel de la réforme semble reposer sur l’augmentation du budget de la sécurité sociale et des caisses d’assurance maladie. Si la diminution du nombre de cotisants par retraité est effectivement un risque pour les régimes de retraite, il reste à définir une proposition qui ne déplace pas les dépenses d’une ligne budgétaire, vers une autre.

L’approche par le calcul de la pénibilité ne permet pas le consensus. Les échanges entre la première ministre, des citoyens et des journalistes soulignent que tout le monde considère son métier comme pénible. Certains abordant des critères physiques, d’autres administratifs ou psychologiques. Chaque point de pénibilité accordé à une fonction plutôt qu’une autre, risque d’opposer les citoyens. Pour convaincre sur l’efficacité en terme d’équilibre budgétaire et pour rassurer les salariés sur la prise en compte de leur santé, le gouvernement gagnerait à réformer le compte pénibilité avant de réformer les retraites.

Sources et bibliographie :

– Pour consulter votre compte pénibilité : https://salarie.compteprofessionnelprevention.fr/

– Rapport de l’INSEE sur l’Emploi; le chômage et revenu du travail  : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5392000?sommaire=5392045

– Étude de 2013 par Sofaxis sur l’absentéisme des agents territoriaux : https://fichiers.acteurspublics.com/redac/pdf/Novembre/panorama.pdf

– Etude de l’université de Valladolid : https://uvadoc.uva.es/bitstream/handle/10324/54411/TFG-N.%201790.pdf?sequence=1

– Dossier de presse du gouvernement pour défendre la réforme : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/05/89523d8c702707fc492acb07a05d5df3577be1bb.pdf