Sans surprise l’ancien chef de mission d’Emmanuel Macron continue d’étendre son réseau dans les milieux d’affaires. Comme Foccart en son temps, il est même devenu ami avec plusieurs dictateurs et putschistes. Son dernier projet financier est détecté en janvier, au Royaume-Uni.
Les faits : Une holding pour rassembler 85 millions d’euros
En France où le personnage a enflammé les débats, la stratégie de communication de Benalla est plutôt efficace. Entre ses photographies en costume immaculé, ses citations dans Touche Pas à Mon Poste, les déclarations d’hommes d’affaires le dépeignant comme timide et sympathique, ou encore ses buzz telle que la proposition d’un combat avec Alexis Corbière, le personnage réussit à remplacer l’image du voyou par celle du joyeux provocateur.
Si bien que ses investissements et rencontres avec des personnalités du crime organisé font moins d’audience que les actualités légères qui le concernent. Pourtant la presse française est vent debout contre cet individu pour lequel les révélations sur ses partenariats peuvent conduire dans les locaux de la DGSI.
La première pierre de son réseau fut posée au Maroc avec la création de la société de conseil Comya. Benalla ne cache pas ses ambitions « être présent dans les 54 pays d’Afrique avec un chiffre d’affaire de 300 à 500 millions d’euros d’ici dix ans. »
Le groupe de presse Indigo Publications (Africa Intelligence et la Letrre A) est à l’origine des dernières révélations. En octobre 2022, Benalla a mis en place une holding au Royaume-Uni. Celle ci doit permettre de lever 85 millions d’euros qui pourraient servir la campagne africaine du jeune homme.
Le contexte : Un réseau d’affaire qui inquiète
Les condamnations judiciaires n’ont pas calmé l’ambition de Benalla. Au contraire l’expert en sécurité est devenu un homme d’affaire multipliant les rencontres prestigieuses.
Il devenu ami avec Guillaume Soro. Homme politique ivoirien qui apparaît sur la scène internationale lors de la tentative de coup d’État en 2002 contre Laurent Gbagbo. Après de nombreux retournements, Soro développe ses propres ambitions. En quête de soutien, en 2018 il rend visite à un certain Alexandre Benalla qui développe alors des investissements sécuritaires en Afrique.
Un an plus tard Guillaume Soro est accusé de planifier un nouveau coup d’État. La justice ivoirienne est informée de son voyage de Paris vers Abidjan mais son avion est mystérieusement dérouté vers le Ghana alors que la Police l’attendait à l’aéroport. De là il retourne paisiblement en Europe où il réalise notamment des conférences en Russie.
Ses avocats dénoncent une instrumentalisation de la justice. Le procureur ivoirien justifie le mandat d’arrêt par la découverte d’importants stocks d’arme et de liquide dans une propriété de Guillaume Soro ainsi que chez une quinzaine d’autres personnes. Avec notamment des missiles anti char et des fusils d’assaut. Il sera finalement condamné à la perpétuité en 2021 pour atteinte à la sûreté de l’État.
Benalla a t’il piégé Guillaume Soro au bénéfice des services franco-ivoiriens ? L’a t’il aidé à préparer son opération ? Ou se sont ils rencontrés pour tout autre chose ? L’opacité autour des affaires du personnage et le pédigrée de ses partenaires multiplient les spéculations et la confusion.
L’affaire des contrats russes :
Malgré les capacités de Benalla à soustraire des preuves tel que le contenu de son coffre fort, la justice poursuit son travail. En 2021 il est placé en garde à vue dans le cadre de l’enquête du Parquet National Financier sur l’affaire des contrats russes. Il s’agit alors de déterminer si l’homme a participé aux négociations entre son ami Vincent Crasse (responsable en 2017 de la sécurité du parti La République En Marche) et Iskander Makhmudov, riche industriel russe accusé de participation au crime organisé. Le sujet qui intéresse le Parquet national est un contrat de protection signé par Vincent Crasse. Et plus particulièrement le versement de 172.000 euros sur les comptes de l’entreprise de sécurité Velours dans laquelle Alexandre Benalla a travaillé.
Benalla dément avoir participé aux négociations. Pourtant le journal Le Monde révèle en 2019 qu’Alexandre aurait rencontré Jean-Louis Haguenauer, intermédiaire de Makhmudov et Vincent Crasse dans un bar proche de l’Élysée : le Damas Café. Ce dernier s’est vu refuser l’agrément Dirigeant d’une entreprise de sécurité, ce qui le contraint à trouver un intermédiaire : ce sera l’entreprise Velours. Et douloureuse épine dans le pied des deux anciens gardes du corps : Jean-Maurice Bernard. Le patron de la dite société, fatigué de voir son entreprise engluée dans la polémique a tenu à clarifier le contexte du contrat signé avec Makhmudov. Et affirme sur BFMTV que c’est bien Alexandre Benalla qui l’a contacté en 2018 pour l’inciter à prendre le contrat. Alors même qu’il travaillait à l’Élysée.
Plus grave encore, Jean-Maurice Bernard dévoile l’existence d’un second rendez-vous après celui du Damas Café. Cette fois ci, directement dans les locaux de La République En Marche. Si cela n’était déjà le cas, le dossier devient une affaire d’État. L’enjeu se confirme lorsque la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) convoque la journaliste du Monde Ariane Chemin pour « révélation de l’identité d’un membre des forces spéciales ». La journaliste témoigne : « On se retrouve dans des locaux où sont interrogées les personnes pour terrorisme, on nous fait comprendre que c’est grave, qu’on a commis une faute lourde, et très clairement qu’on est là en tant que suspects. ». En cause la divulgation du nom de Chokri Wakrim comme intermédiaire dans l’établissement du contrat avec l’oligarque russe. Hors ce monsieur fut à la fois sous-officier de l’armée de l’air et l’époux de Marie-Elodie Poitout, alors chef du groupe de sécurité du président. Chokri Wakrim est un proche d’Alexandre Benalla et Le Monde a révélé qu’il fut suspendu par le ministère des armées. La DGSI fournit elle même un porte voix au scoop en convoquant les journalistes du Monde.
La situation met en avant la vulnérabilité des plus hautes institutions françaises face à des intérêts étrangers et de surcroît, criminels. Et pose des questions sur les objectifs et directions prises par la DGSI. Emmanuel Macron sait il garantir la sécurité et l’indépendance de l’Élysée ? Comment peut-on s’entourer d’autant de personnes impliquées dans des affaires de corruption, avec des négociations qui se tiennent à l’intérieur même des locaux du parti présidentiel et aux abords de l’Élysée.
De quoi s’interroger aussi sur les services de Renseignement français qui ont préféré convoqué des journalistes, que d’appuyer leurs révélations sur les actions anti corruption du Ministère de la Défense, alors dirigé par Florence Parly. Dans plusieurs démocraties occidentales, il n’est pourtant pas rare de voir les agences de renseignement participer à l’information publique. Sous des motifs très simples : le respect des fonctions officielles, la compréhension mutuelle des enjeux et la défense de la sécurité nationale. Pour enfoncer le clou : les 5 agents de sécurité placés sur le contrat de protection de la famille Makhmudov sont d’anciens militaires et gendarmes.
Les enjeux : Sur les pas de Jacques Foccart
Depuis 2018 Benalla s’est concentré sur les affaires africaines. Pour développer son réseau il s’appuie sur des collaborations avec Vincent Miclet et Philippe Hababou Solomon. Le premier fait parti des 500 premières fortunes de France grâce à des activités pétrolières au Gabon et en Angola. Le second fut conseiller spécial de Jacob Zuma, ex président d’Afrique du Sud. Il lui a permis de s’établir au Tchad, au Cameroun et au Congo Brazzaville. Ces déplacements furent réalisés avec les fameux passeports diplomatiques.
Philippe Hababou Solomon est connu pour ses condamnations en France pour faux et usage de faux et ses liens avec Bernard Tapie et l’ancien patron de Elf : Loïk Le Floch-Prigent. On retrouve aussi son nom dans la stratégie africaine du Qatar et de la Turquie. Comment Benalla a t’il rencontré Hababou Solomon ? Ce dernier s’en explique dans une interview à Jeune Afrique « Par un ami commun, qui m’a parlé de lui après le scandale du 1er mai 2018. Il m’a dit : c’est un bon garçon, aide-le, sort-le de France ».
S’ensuit un discours peu convainquant où Solomon prétend n’avoir aucune relation d’affaire avec l’individu qu’il a accompagné dans une dizaine de pays « Ce n’était pas mon employé, mais plutôt un compagnon de voyage. Je l’ai pris en apprentissage, si vous préférez. » Pratique, quand « l’apprenti » possède lui aussi un carnet d’adresse et des secrets liés à son poste au sein de l’Élysée.
Dans les contrats signés lors de ces voyages on trouve la fourniture d’uniforme à l’armée tchadienne et à l’armée camerounaise, la mise en place d’usine militaire et de biens de consommation. (ndlr : la vente d’uniforme est un sujet stratégique bien connu des services de Renseignement. Puisque la connaissance du nombre d’uniforme en dotation permet d’estimer les forces réelles d’un pays, au-delà des communiqués officiels.)
Dans les rencontres on trouve toute la panoplie des dictateurs de l’ex pré carré français : Sassou Nguesso, Paul Biya ou encore Idriss Déby. Alexandre Benalla est-il en train de combler le vide laissé par la diminution de l’ingérence française en Afrique ? La question se pose quand Hababou Solomon rapporte les propos ayant motivé la rencontre entre Benalla et le conseiller de Paul Biya. Ce dernier « s’est plaint du manque d’intérêt de la France envers ses anciennes colonies ». Car pour maintenir leur fortune et leur pouvoir, ces dirigeants ont besoin de soutien et de canaux officieux. Chose compliquée si Emmanuel Macron met en pratique ses vœux d’une nouvelle relation entre la France et les pays africains.
Face à la réforme de la politique extérieure française, Alexandre Benalla tient un discours qui peut lui apporter le soutien d’un réseau qui ne veut pas mourir. Dans un article de TV5 Monde, il s’exprime de manière très décomplexée : « Tant mieux s’il y a une Françafrique, tant mieux s’il y a un partenariat entre la France et l’Afrique, tant mieux s’il y a une demande pour ce type de relations. Aujourd’hui, les dirigeants africains pactisent avec la Chine et la Russie en sachant que cela se fait au détriment des intérêts de leur pays, mais ils le font parce qu’ils savent que les Chinois et les Russes ne sont pas embarrassés par les problématiques de bonne gouvernance. Nous, Français et Européens, nous nous plaçons sous le joug de la morale et nous sommes toujours les premiers à nous tirer une balle dans le pied en Afrique ».
A l’heure actuelle les dossiers autours d’Alexandre Benalla sont couverts d’incertitude. Est-il un électron libre ? Ou travaille t’il pour l’Élysée ? Si l’ancien chef de mission entache l’image et la communication du président français, ce dernier ne semble pas faciliter l’action de la justice ni n’avoir limité le champ d’action de Benalla. Philippe Hababou Solomon rappelait à Jeune Afrique « Si la France avait vraiment voulu l’empêcher d’utiliser ses passeports diplomatiques, elle aurait très bien pu les désactiver. » La France oui, mais un Emmanuel Macron qui a permis, volontairement ou non, à un réseau de barbouze de se positionner sur l’essentiel des postes à responsabilité attachés à la sécurité de l’Elysée, est sans doute moins libre de prendre les bonnes décisions.
L’Elysée était-elle au courant ? Certains éléments le suggèrent. Selon Jeune Afrique, en 2018 le monsieur Afrique d’Emmanuel Macron s’en serait même agacé : Franck Paris. « Ce dernier a du appeler le président tchadien pour lui signifier que personne d’autre que lui ou le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et le conseiller diplomatique du président, Philippe Étienne, ne pouvait parler au nom du président français ». La raison de sa colère ? Benalla est resté plusieurs jour avec Idriss Deby avant la visite officielle du président français.
La position publique de l’Elysée est claire « Benalla n’est pas un émissaire officiel ou officieux de la présidence de la République. » Mais derrière le communiqué, le parti présidentiel semble divisé. D’une part un conseiller partisan d’une nouvelle relation avec les nations africaines : Franck Paris. De l’autre un Benalla qui possède suffisamment de soutiens pour ne pas être freiné par la présidence et qui a pu continuer ses voyages auprès de dignitaires étrangers. Il n’est cependant pas permis de qualifier le niveau d’approbation d’Emmanuel Macron concernant les affaires d’Alexandre Benalla. Si l’ambitieux personnage n’est pas le nouveau Jacques Foccart, il s’inscrit néanmoins dans cet affairisme constitutif de la chute du pré carré et qui parasite les services de l’Etat français. Avec une particularité : l’individu couvre ses opérations financières et de conseils en indiquant regretter la Françafrique, facilitant par la même le narratif du Kremlin sur l’éternel empire colonial, alors que ses collaborations sont pour le moment à l’avantage du secteur privé et des intérêts qataris, turcs et russes.
Si vous n’y comprenez plus rien et ne savez pas qui croire, c’est normal. Bienvenue chez les barbouzes. Dans un pays où les services de renseignement n’interviennent pas publiquement pour éclairer la lutte contre l’ingérence et la corruption, la compréhension des enjeux et rapports de force ne peut qu’en être plus complexe. Dans une telle situation on aimerait voir le système français s’inspirer des agences américaines, qui n’hésitent pas à enquêter sur les individus proches du pouvoir, à rendre des comptes et à rappeler les dirigeants à l’ordre. En attendant il faudra attendre d’autres révélations par la presse et la justice pour préciser les contours de ces scandales.
Sources et bibliographie :
– Révélation de La Lettre A concernant la hodling déclarée au Royaume-Uni : https://www.lalettrea.fr/entreprises_finance/2023/01/31/alexandre-benalla-cree-une-mysterieuse-holding-pour-reunir-85-millions-d-euros,109907866-art
– Interview de Jean-Maurice Bernard sur BFMTV : https://www.bfmtv.com/police-justice/affaire-benalla-le-patron-de-la-societe-velours-sous-traitante-du-contrat-russe-confirme-que-benalla-etait-un-intermediaire_AV-201902110089.html
– Article de Jeune Afrique sur Instra Conseil : https://www.jeuneafrique.com/mag/765484/politique/maroc-france-une-societe-dalexandre-benalla-controlee-a-marrakech/
– Interview de Hababou Solomon à Jeune Afrique : https://www.jeuneafrique.com/696870/politique/entretien-avec-philippe-hababou-solomon-lintermediaire-qui-a-introduit-alexandre-benalla-en-afrique/
– L’association Anticor se constitue parti civil dans l’affaire des contrats russes : https://www.anticor.org/2022/07/12/affaire-benalla-anticor-se-constitue-partie-civile-pour-relancer-lenquete-sur-les-contrats-russes-dalexandre-benalla/
– Dossier du Monde sur les sociétés de sécurité Velours et Mars : https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/02/08/affaire-benalla-mars-et-velours-international-deux-societes-au-c-ur-de-l-enquete_5420984_823448.html
– Ariane Chemin et Louis Dreyfus convoqué par la DGSI : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/05/29/affaire-benalla-ariane-chemin-et-louis-dreyfus-ont-ete-interroges-par-la-dgsi_5469277_3224.html
– Article de la BBC sur la Condamnation à perpétuité contre Guillaume Soro : https://www.bbc.com/afrique/region-55826165
– Article de TV5 Monde sur les ambitions africaines de Benalla : https://information.tv5monde.com/info/france-afrique-les-grandes-ambitions-d-alexandre-benalla-424142