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L’Intelligence Artificielle devient apicultrice

L’Intelligence Artificielle devient apicultrice

beewise abeille robot
beewise abeille robot

Axe de recherche très en vogue, l’automatisation des métiers concerne désormais l’apiculture. Beewise est une entreprise israélienne qui propose une gestion sanitaire, thermique et nutritive des abeilles par un robot. L’innovation peut-elle sauver les abeilles ?

Les faits : Une ruche autonome par l’énergie solaire

Beehome est son nom. La technologie se présente comme un outil pour apiculteur. Il s’agit d’une structure alimentée par des panneaux solaires, qui de l’extérieur ressemble à un rucher de la taille d’un container. Mais derrière ces panneaux métalliques se cache un robot et ses nombreux capteurs.

Les données reçues par le robot lui permettent d’identifier la présence de maladie, de contrôler la température, d’identifier les besoins en eau et en sucre et d’y répondre. Il est aussi possible de récolter le miel automatiquement : « Le robot extrait le cadre, le place dans une centrifugeuse et tourne pendant environ 15 minutes, selon la densité du miel. Quand ce miel est collecté, le cadre est remis en place prêt à recevoir ses nouvelles livraisons. », explique l’entreprise.

Les arguments de vente utilisés sont le gain de temps pour l’apiculteur, souvent partagé entre plusieurs parcelles éloignées. Le dispositif permettrait d’éliminer 90 % des tâches manuelles et augmente la viabilité des ruchers face aux agressions environnementales.

Pour poursuivre son développement l’entreprise bénéficie de 120 millions d’euros d’investissement, principalement obtenus par des partenariats avec des entreprises américaines. La Commission Européenne participe a hauteur de 2,2 millions d’euros.

Le contexte : une forte diminution du nombre d’abeilles et ses multiples causes

La société Beewise déclare une réduction de 80 % de la mortalité des abeilles par son dispositif. Ces chiffres devront être vérifiés par une structure indépendante, dans la durée et en fonction de l’implantation. Les facteurs de mortalité étant liés à l’environnement de la ruche, aux pratiques agricoles et apicoles.

Jusqu’aux années 1990 la mortalité dans les ruches domestiques était de 5 à 10 % du nombre d’abeille. Certains apiculteurs ont ensuite assisté à des pertes s’élevant à 90 %. Le phénomène est alors appelé syndrome d’effondrement des colonies.

La disparition des abeilles pourrait engendrer un effondrement des végétaux par manque de pollinisation. Pour sensibiliser les autorités et les acteurs économiques moins sensibles à l’écologie qu’à la rentabilité, l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) a évalué les pertes liées au manque de pollinisation des produits agricoles tels que les courgettes, fraises et tomates. Ce chiffre pourrait atteindre la somme de 153 milliards d’euros perdus chaque année.

L’effondrement des colonies d’abeilles intervient après la généralisation du recours aux néonicotinoïdes. Ils sont actuellement implantés dans les graines et peuvent se retrouver jusqu’aux nectars et pollens des plantes enrobées. « Ces insecticides puissants ont une forte affinité avec l’eau et se caractérisent par une présence de longue durée dans l’environnement », détaille Axel Decourtye, directeur général à l’Institut technique et scientifique de l’abeille et de la pollinisation.

En France ils sont interdits en 2018 puis de nouveau autorisés par dérogation. En 2020 un tiers de la production de betterave sucrière est détruite en raison de la jaunisse colportée par les pucerons verts. En 2021 et 2022, des arrêtés autorisent alors l’usage de néonicotinoïdes pour ce type de culture pour une durée de 120 jours. En parallèle un plan de 7 millions d’euros a été mis en place pour chercher des solutions alternatives aux néonicotinoïdes afin d’en interdire totalement l’usage pour 2024. Une somme assez faible au regard des pertes en France de la filière betterave en 2020, estimées à 280 millions d’euros pour le secteur et l’enjeu d’une disparition des abeilles.

Les pesticides ne sont pas la seule cause du déclin des abeilles :

Pour Vincent Bretagnolle, chercheur à l’INRA, les pouvoirs publics et les militants écologistes ne doivent pas se contenter d’une interdiction des pesticides et cite d’autres facteurs de mortalité pour les abeilles :  « L’agriculture intensive, la simplification des paysages, l’arrivée de pathogènes particulièrement virulents, mais aussi les nouvelles pratiques des apiculteurs affaiblissent les abeilles et contribuent aux dégâts constatés sur les colonies ».

Ces appauvrissements de la biodiversité, qui passent par les herbicides, la disparition des haies et des prairies jouent un rôle majeur dans la mortalité des ruches. Les herbicides utilisés dans l’agriculture affectent les bleuets et coquelicots qui constituent une source d’alimentation entre la floraison du colza, au printemps et la floraison du tournesol, fin juillet.

L’outil de Beewise pourrait donc s’avérer efficace pour répondre aux périodes de manque même si de nombreux chercheurs considèrent insuffisante la perspective de palier au manque d’autonomie des ruches plutôt que de leur fournir l’environnement nécessaire à leur autosuffisance.

D’autres facteurs interviennent mais sont parfois surexposés. Le frelon asiatique est un prédateur certes redoutable, importé par les déplacements de marchandises entre les continents. Mais il ne menace que la pérennité des ruches déjà en mauvaise santé.

Vincent Bretagnolle dénonce aussi la généralisation de la transhumance chez les gros apiculteurs qui engendre le déplacement des abeilles du sud de la France vers le nord. Augmentant la propagation des maladies. Cependant cette pratique apicole existe depuis l’Antiquité et s’est largement développée au XVIIIème siècle, sans avoir causer d’effondrement. C’est donc là encore la fragilité des ruchers face aux produits chimiques qui reste la cause première.

Parmi ces maladies certaines ont été confondues avec les effets des néonicotinoïdes, comme le Varroa destructor, un acarien qui provoque tremblements et paralysies des abeilles. Mais de nouveau, c’est la combinaison des pesticides et des maladies qui rendent fatales, des situations d’exposition non létales si prises isolément.
Car les apiculteurs ont appris à gérer les parasites. Les varroas se détectent facilement et leur population peut être réduite par différentes astuces allant du piège à la gestion des températures. Sans compter les traitements médicamenteux.

La commercialisation massive des reines s’ajoute aux causes du déclin. Des fermes géantes présentes en Italie produisent jusqu’à 100.000 reines par an qui sont revendues dans des pays où les espèces ne sont pas adaptées. « Ces reines pondent dès les mois de janvier-février, à un moment où il n’y a aucune nourriture disponible sous nos latitudes », explique Lionel Garnery, chercheur au CNRS. « Pour éviter que les ouvrières issues de leurs œufs ne meurent de faim, il faut les maintenir artificiellement avec du sucre, ce qui empêche la sélection naturelle de faire son office et ne permet donc pas leur adaptation au nouvel environnement. » Un argument qui relativise fortement la gestion du taux de sucre que prône la société Beewise.

La reproduction des abeilles implique la fécondation d’une reine par 15 à 20 mâles, ce qui ne permet pas de contrôler le génome d’une ruche ni d’identifier clairement les sous espèces d’un apiculteur. Le brassage engendré par l’importation de reines issues d’Italie contamine l’ensemble du territoire français. Pour répondre à cette problématique, plusieurs initiatives ont été mises en place pour conserver le génome de l’abeille la mieux adaptée au territoire français : l’abeille noire. L’objectif consiste à créer des sanctuaires qui fourniront les reines aux apiculteurs.

Les enjeux : hiérarchiser les causes

Les ruches automatisées pourraient réduire la prolifération des champignons et des acariens. Mais puisque les causes de mortalité des abeilles sont aussi nombreuses, la réponse ne peut être isolée et se doit d’être moins couteuse que la robotisation.

Les pouvoirs publics et la société civile doivent hiérarchiser les causes du déclin pour apporter une réponse efficace. Maladies, hybridations et transhumance jouent un rôle dans la mortalité de l’abeille mais ces phénomènes renforcent l’effondrement qu’en raison de la fragilité des ruchers. Cette fragilité reste principalement causée par néonicotinoïdes et la perte de biodiversité nécessaire à l’autosuffisance des ruches. Dans ce cadre, les ruches automatisées peuvent permettre de maintenir des populations en situation de crise mais constituent surtout un avantage en terme de rentabilité plutôt qu’une solution efficace et perenne pour l’écologie et la survie des abeilles.