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Souveraineté économique : Le premier ministre Burkinabè se met à dos les sankaristes

Souveraineté économique : Le premier ministre Burkinabè se met à dos les sankaristes

burkina ble dependance eco
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Après le putsch au Burkina, les nouvelles autorités annoncent vouloir renforcer les importations de médicaments et de semences russes. Alors même qu’un Établissement Public burkinabè est en mesure de fournir des graines adaptées et qu’un laboratoire pharmaceutique local a ouvert en mars 2022.

L’annonce est exprimée le 13 décembre sur le média Russia Today par Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, Premier Ministre du Burkina Faso à la suite du putsch du 30 septembre 2020.

Dans cet échange singulier, la présentatrice demande au Premier Ministre quels produits pourraient exporter le Burkina vers la Russie. Plutôt que de défendre sa balance commerciale, le chef du gouvernement lui dit « Ça c’est à vous de répondre. Car comme j’ai dis à mes interlocuteurs, la Russie est une grande nation. Mais on ne voit pas la Russie chez moi. Alors que vous produisez beaucoup de choses comme des médicaments. Qui pourraient être moins chers mais on ne voit pas de médicaments russes. Pourquoi les russes ne viendraient pas ouvrir des pharmacies au Burkina Faso comme le font les français ? Nous souhaitons avoir plus de produits russes chez nous pour diversifier nos partenariats et ne pas être liés seulement aux occidentaux. »

En répondant sur les importations, à une question sur le potentiel d’exportation, monsieur Tambèla rate l’opportunité de défendre une coopération gagnant-gagnant. Inoussa Maïga co fondateur du média AgriBusinessTV interroge la subordination : « C’est aux russes de définir ce que le Burkina peut fournir au marché russe ? »

Dans la société civile, ce n’est pas le seul problème soulevé. Le précédant gouvernement, démis de ses fonctions, a inauguré le premier laboratoire pharmaceutique du Burkina Faso : Propharm. Projet validé durant la présidence de Roch Marc Christian Kaboré. Le labo est une initiative de plusieurs pharmaciens burkinabè portés par des capitaux locaux et sous régionaux. Dans ce secteur, la Chine, l’Inde et la France monopolisent effectivement le marché. L’ouverture d’une unité de production visait donc à réduire la dépendance aux fournisseurs étrangers et développer une exportation dans l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine. Avec notamment une capacité de production de paracétamol, un produit en pénurie même en Occident. De quoi constituer une véritable revanche industrielle. Certaines voix préféreraient donc entendre le premier ministre renforcer les productions locales à haute valeur ajoutée, plutôt que de renouveler une dépendance économique.

La diversification des partenaires est un slogan intéressant à analyser. Devenu une ritournelle des gouvernements putschistes ayant des affinités avec le Kremlin, ces propos reposent sur la période du pré carré français en Afrique de l’Ouest. Mais aujourd’hui l’économie française est loin de dominer la région même si l’ambition demeure pour certains groupes tels que Total, Bouygues, Orange, Vinci et Bolloré. La France ne représente plus que 8 % des importations du pays.
Le premier poste de vente de la France vers le Burkina concerne les machines agricoles et s’inscrit dans une politique d’augmentation de la production céréalière locale. Vient ensuite les produits pharmaceutiques pour lesquels se pose effectivement le problème d’un manque de concurrence, puis l’alimentaire.

Les partenaires du Burkina sont en réalité très variés. Un seul pays représente plus de 10 % des volumes importés, il n’est pas en Occident : c’est la Chine. La Russie, pour laquelle le Premier Ministre affirme qu’il n’y a pas de présence dans son pays, représente 5 % des importations. Principalement du blé. Et si le chef du gouvernement semble embarrassé pour traiter les exportations de sa nation vers la Russie, c’est en raison de l’acquisition d’une nouvelle mine d’or par l’entreprise russe Nordgold quelques jours avant son intervention à Russia Today. Et seulement deux mois après le putsch. Diversifier ses partenaires en proposant à la Russie d’obtenir sa quatrième concession aurifère dans le pays : il fallait oser.

Du côté agricole, la même dynamique est en marche :

La visite de Joachim Kyélem de Tambèla à Moscou est présentée comme la nécessité de renforcer le partenariat agricole. Mais pour traiter de sécurité alimentaire, quelques approximations se sont glissées dans le texte : « Vous savez que nous consommons le blé. Mais nous ne cultivons pas le blé. Par exemple pour fabriquer le pain et les gâteaux nous aimerions cultiver le blé chez nous. Et donc si la Russie peut nous aider avec ses experts à produire le blé chez nous, se serait une bonne chose. »

C’est là que les sankaristes (partisans d’une souveraineté renforcée) bondissent. Si le blé est souvent utilisé c’est pour répondre aux déficits agricoles. La céréale garde l’image d’une importation étrangère qui vient combler une urgence. Faire reposer sa consommation nationale dessus est donc souvent perçu comme une aliénation. Cette céréale n’est pas essentielle à la production de farine. Puisque le pays fait pousser du maïs, du sorgho et du mil.

Plus étonnant encore : le chef du gouvernement affirme que son pays ne sait pas faire pousser du blé. De quoi faire bondir les chercheurs de l’INERA. L’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles est un établissement public burkinabè. Fondé en 1996, sa mission consiste à renforcer la recherche et lutter contre l’insécurité alimentaire. Pour cela une banque de semence a été constituée et comprend toute la panoplie des croisements permettant d’obtenir le meilleur potentiel de récolte. Et ces chercheurs burkinabè ont justement obtenu des résultats concluant sur les semences de blé.

L'INERA a confirmé ses capacités de production de blé au Burkina.

Un enjeu essentiel puisque l’achat de produits génétiquement modifiés à une compagnie étrangère contraint généralement les paysans à racheter des graines chaque année. Renforcer la dépendance à la BioTech russe en prétendant que son pays n’est pas capable de produire du blé par lui même, expose un lien de subordination.

Au vu du dynamisme de la société civile burkinabè, les putschistes ont intérêt à faire preuve de plus de subtilités. Au pays de Sankara, ce n’est pas ou la France ou la Russie, mais le Burkina d’abord.