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Pour ses 200 ans d’activité, Bolloré vend sa logistique portuaire à MSC

Pour ses 200 ans d’activité, Bolloré vend sa logistique portuaire à MSC

bollore africa logistics
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Une page se tourne. Le groupe Bolloré est connu pour posséder de nombreuses infrastructures maritimes en Afrique. Des investissements qui ont perdu en durabilité au fur et à mesure de la diversification des acteurs économiques présents en Afrique. Retour sur la filiale et son histoire.

Les faits : Une vente à 5,1 milliards d'euros :

La filiale du Groupe Bolloré est créée en 2009 et emploi plus de 21.000 collaborateurs. Elle comprend elle même plus de 250 filiales. Le 21 décembre est signé la cession de Bolloré Africa Logistics (BAL) à la Mediterranean Shipping Company (MSC) pour un montant de 5,1 milliards d’euros.

En plus de ses 16 terminaux de conteneurs et 2 terminaux à bois, BAL réalise des activités de manutention. Ses activités commerciales concernent 87 agences maritimes. Ces dernières prennent en charge les démarches administratives et douanières des clients souhaitant faire transiter leurs marchandises au sein de l’Afrique et vers 60 pays hors du continent. Trois concessions ferroviaires s’ajoutent au capital de la filiale : Sitarail, Camrail et Benirail.

Le chiffre d’affaire annuel est de 19 milliards d’euros mais le résultat net officiel est de 117 millions d’euros avec 3 milliards et demi d’endettement. Depuis mars 2020 le cours des actions de la maison mère a fortement augmenté avant de rencontrer une légère baisse fin novembre 2022. L’officialisation de la vente d’Africa Bolloré Logistic fait remonter la valeur des actions du groupe.

L’acheteur, MSC, est un groupe enregistré en suisse et constitué en 1970. Son directeur et fondateur est le milliardaire italien Gianluigi Aponte. Comme pour les Bolloré, son groupe est administré par la famille. Il a placé sa femme et ses enfants à la tête de plusieurs directions.

Le contexte : La fin du pré carré français a fragilisé les activités africaines de Bolloré

La famille a commencé ses activités durant l’époque coloniale. Crée en 1822, Bolloré fête ses 200 ans. Au départ rien ne laisse envisager la constitution d’un empire économique. L’activité s’initie par une papeterie dans la commune bretonne d’Ergué Gabéric. L’entreprise est à l’origine du papier OCB (Odet-Cascadec-Bolloré vendu par la suite à Republic Tabacco).

Dans les années 1975 Bolloré fait face à d’importantes difficultés financières et le chef de famille, Michel, décide de vendre ses parts à la compagnie Rothschild. Ses deux frères s’y opposent et vendent leurs capitaux au groupe Schneider, tout en demandant la démission de Michel du poste de directeur. Une vente romanesque puisqu’ils sont tombés dans une manipulation digne d’un film d’espionnage. Leurs capitaux ont en fait été cédés à un intermédiaire qui a transféré les parts aux fils de Michel Bolloré : Vincent et Michel-Yves. Cette opération est relatée par le livre de Nathalie Raulin et Renaud Lecadre, Vincent Bolloré : Enquête sur un capitaliste au-dessus de tout soupçon.

La manœuvre est effectuée en collaboration avec la compagnie financière. A la suite de nombreuses opérations les deux enfants partagent la propriété de l’entreprise avec Edmond de Rothschild. Vincent n’a alors que 23 ans. Jusqu’en 1983 l’activité continue de décliner. La baisse de 30 % des salaires des ouvriers engendrent des grèves. Le site historique d’Ergué Gabéric est fermé. Les enfants de Michel rachètent les parts d’Edmond de Rothschild pour un franc symbolique.

C’est là que commence le renouveau de la famille. Quatre ans plus tard ils achètent à Suez la Société Commerciale d’Affrètement et de Combustibles (SCAC). Elle leur permet de poser les bases d’un empire en Afrique. Car Si Bolloré Africa Logistics apparaît en 2009, il s’agit en fait de l’aboutissement d’une activité initiée bien plus tôt. Et si les compétences en montage financier de Vincent Bolloré sont reconnues, notamment par le mentorat d’Edmond de Rothschild et d’Antoine Bernheim : la vitesse d’enrichissement repose aussi sur un contexte très particulier.

Dans les années 80 de nombreuses entreprises refusent de développer leur commerce avec des dictatures africaines. Au delà des aspects moraux et de notoriété, c’est surtout la main des services français qui réduit la diversité des partenaires économiques. Ces services, en lien avec plusieurs oligarques, constituent un risque économique trop fort pour les investisseurs « non autorisés ». Nous sommes quelques années seulement après la fin de service officiel de Jacques Foccart. C’est la période dite de la coopération et des plans structurels, dont les bénéfices restent souvent à sens unique.

Vincent Bolloré a donc le loisir de coopérer avec le criminel de guerre Charles Taylor, avec Sassou Nguesso, Paul Biya ou encore Blaise Compaoré. La faiblesse des contre-pouvoirs locaux lui permet de développer ses affaires en réduisant considérablement la concurrence et les coûts.
Mais l’Afrique change et les partenaires de la France sont fatigués par ses postures néo coloniales. Intervient alors le discours de La Baule en 1990. François Mitterrand conditionne l’aide française à la démocratisation des sociétés africaines et l’ouverture au multipartisme. Il tentera néanmoins de garder la main en finançant certains candidats. Notamment Alpha Oumar Konaré pour le cas du Mali, qui recevra des fonds de la part du Ministère français de la Culture.

Dans les années 2000, Vincent fonde un deuxième empire : médiatique et technologique. Il devient essentiel de développer un capital sympathie face à la monté en puissance de la société civile contre l’affairisme franco-africain. Tout en diversifiant ses sources de revenus.

La puissance de l’association entre les industriels français et les services de l’État en Afrique décline continuellement. Le marqueur étant la diversification des partenaires économiques. Les entreprises de BTP chinoises supplantent les compagnies françaises et les géants miniers détricotent le monopole français. Les Émirats Arabes Unis arrivent à percer dans les places fortes de Bolloré.
Le multipartisme introduit des candidats non affiliés à la France et les dictatures restées en place tissent de nouvelles coopérations. Les progrès en terme de liberté d’expression renforcent aussi les échanges entre la société civile africaine et européenne. Le 26 février 2021, Vincent Bolloré est ainsi contraint devant le Tribunal de Paris, d’admettre des faits de corruption au Togo.

La situation atteint à la stabilité du groupe.  Conjuguée à la compétition accrue, Vincent Bolloré vend donc son empire maritime. Tout en précisant conserver en Afrique ses activités d’édition, de communication, de télécoms et  de divertissement.

Sources et bibliographie :

Communiqué de Bolloré confirmant la vente de Bolloré Africa Logistics : https://www.bollore.com/bollo-content/uploads/2022/12/2022-12-21-cession-de-bollore-africa-logistics.pdf

Rapport d’activité du groupe en 2021 : https://www.bollore.com/bollo-content/uploads/2022/05/0502_2202205_boll_ra_2021_fr_mel.pdf

Bolloré par Capital : https://photo.capital.fr/vincent-bollore-le-breton-qui-joue-au-gentleman-raider-12941#son-mentor-228067

Portrait de Michel Bolloré par l’association de promotion du patrimoine d’Ergué-Gabéric : http://www.arkae.fr/index.php/bollore

L’Empire Africain de Bolloré par le journal Les Échos, article de 2013 : http://archives.lesechos.fr/archives/2013/Enjeux/00301-029-ENJ.htm

Le plaidé coupable de Bolloré refusé par la justice française, article du Monde en 2021 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/26/corruption-en-afrique-vincent-bollore-plaide-coupable_6071276_3224.html