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Après Lafarge, le groupe Castel accusé de complicité de crime contre l’humanité

Après Lafarge, le groupe Castel accusé de complicité de crime contre l’humanité

Castel complicité crime contre l'humanité
Castel complicité crime contre l'humanité

La justice française s’intéresse de plus en plus aux activités des multinationales dans les pays en guerre. Après la mise en examen du groupe Lafarge pour le financement de l’État Islamique, le groupe Castel fait l’objet d’une enquête conduite par le Parquet National Antiterroriste. L’ONG The Sentry dénonce un système de financement à destination des rebelles pour assurer la sécurité du groupe français.

Les faits : ouverture d’une enquête contre le groupe Castel

The Sentry est une ONG crée en 2016 par George Clooney . Elle se décrit comme une organisation de lutte contre les prédations des multinationales. En 2020 elle se fait connaître en accusant le système bancaire de la République Démocratique du Congo de servir de plateforme à la Corée du Nord pour échapper aux sanctions internationales.

Depuis aout 2021, l’ONG accuse le groupe français Castel de complicité de crime contre l’humanité en Centrafrique. Castel est spécialisé dans les spiritueux et possède notamment les magasins Nicolas. En Centrafrique son activité se concentre autour de la culture de canne à sucre, son raffinage et la vente d’alcool. Le fondateur de Castel serait un soutien de l’ancien président François Bozizé. Selon The Sentry, l’acteur économique français aurait choisi de faire face à la crise qui traverse le pays par des accords avec les groupes rebelles. Sucaf RCA aurait ainsi envoyé des fonds à la milice Unité pour la Paix en Centrafrique en échange de garantie de sécurité pour ses camions et ses exploitations. Dans ce contexte où le groupe pourrait passer pour victime, The Sentry précise que les fonds versés aux rebelles participent à leur renforcement et aux crimes de guerre.

Le parquet national anti-terroriste français annonce le 30 juin l’ouverture d’une enquête, confiée à l’Office Central de Lutte contre les Crimes contre l’Humanité et les Crimes de Haine (OCLCH). Ces gendarmes spécialisés se sont illustrés en début d’année lorsque les autorités françaises ont annoncé leur envoi en Ukraine afin de documenter les crimes de guerre.

D’après l’avocat du groupe Castel, l’enquête qui s’ouvre en France permettra de vérifier qui se cache derrière les accusations anonymes rapportées par l’ONG américaine. Il précise qu’une enquête interne n’a pas permis de confirmer ces versements d’argent au CPC sans pour autant la rendre publique. La justice devra trancher entre les accusations de The Sentry et la défense du groupe français. Castel fait déjà l’objet de dénonciation en Afrique pour financement de candidats politiques lui étant favorables.

Le contexte : Des massacres en Centrafrique et des Justices tardives

Les autorités centrafricaines et la rébellion sont accusées de nombreux crimes de guerre par la presse et les organisations non gouvernementales. L’Organisation des Nations Unis demeure cependant présentes aux côtés des forces centrafricaines.

En 2013 une rébellion éclate. La coalition de groupes armées renverse le président François Bozizé. Elle s’accompagne immédiatement d’exactions intercommunautaire entre les milices Séléka et Anti Balaka.

La France lance l’opération Sangaris qui prend fin en 2016, remplacée par l’envoi de 11.000 casques bleus. En 2018 est constatée la présence de la société Wagner aux côtés du nouveau président centrafricain. En décembre 2020 le président Archange Touadéra est réélu, son principal adversaire l’ancien président Bozizés est interdit de candidature.  Les rebelles de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), fidèles à l’ancien président, tentent de prendre la capitale et sont repoussés par les casques bleus, les forces centrafricaines et Wagner.

Si le CPC s’est rendu coupable de crime de guerre et qu’une enquête sur ses soutiens financiers est salutaire, on constate néanmoins une certaine impunité du côté des alliés de la présidence. Celles ci étant toujours appuyées par l’ONU malgré les dénonciations de crime de guerre contre la société Wagner, qui déploie plus de 1000 mercenaires en Centrafrique sur demande du président Touadéra. A noter que les autorités françaises ont pu dénoncer rapidement le déploiement du groupe Wagner au Mali en observant le départ de la moitié des effectifs stationnés en Centrafrique.

Selon un rapport d’Human Right Watch publié en 2019, plusieurs témoins ont observé des tortures et exécutions de civils par le groupe Wagner. Le cumul des observations concerne des centaines d’accusations de pillages et d’exactions. Le groupe reste financé par le gouvernement sans que cela n’enclenche de procédure de complicité pour crime de guerre.

2,2 millions de personnes manquent toujours de nourriture en Centrafrique. La présidence continue donc de recevoir le soutien financier de l’ONU. Certes pour des programmes humanitaires, mais qui dégagent des pans budgétaires permettant l’emploi des mercenaires. Cependant le Haut Commissariat aux droits de l’homme dénonce depuis 2021 les intimidations du groupe russe contre des civils centrafricains témoins d’exactions et évoque la possibilité de viols et assassinats. Le Haut Commissariat demande la fin des relations entre le pouvoir centrafricain et Wagner.

Concernant les exactions des partenaires du groupe Castel : Mahamat Said Abdel Kani cadre du CPC est actuellement entre les mains du Tribunal International de La Haye.
L’accusation contre le groupe Castel est similaire à celle qui a mené à la mise en examen du groupe Lafarge en Syrie. Le cimentier pour maintenir son activité économique versait de l’argent à l’État Islamique. Par ailleurs, l’émission Complément d’Enquête dénonçait en 2019 le versement de pot de vin par le groupe Castel à destination des contrôleurs des impôts présents dans différents pays africains, ainsi que le recours à l’évasion fiscale. Son fondateur Pierre Jesus Sebastian Castel est d’ailleurs devenu résident fiscal en Suisse.

Sources et bibliographie :

– Dépêche AFP.

– Crime de guerre en Centrafrique par le groupe Wagner, article du Monde : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/05/03/centrafrique-hrw-accuse-les-paramilitaires-russes-de-wagner-de-meurtres-et-de-tortures-sur-des-civils_6124567_3212.html

– Complément d’Enquête, le baron du rouge, en accès libre : https://www.youtube.com/watch?v=-aeLkgXEok4

– Accusation contre le groupe Wagner et ouverture d’une enquête de l’ONU, par Ouest-France : https://www.ouest-france.fr/monde/centrafrique/centrafrique-l-onu-enquete-sur-une-tuerie-attribuee-a-des-soldats-locaux-et-paramilitaires-russes-5adb5c04-7ae2-11ec-b50c-08914eeb34f1

– Fiche technique de l’accusation contre Mahamat Said Abdel Kani : https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/CaseInformationSheets/saidFRA.pdf

-Accusations du Haut Commissariat des Droits de l’Homme contre le groupe Wagner en Centrafrique : https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/11/car-russian-wagner-group-harassing-and-intimidating-civilians-un-experts