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Mayotte : la décision de Catherine Vannier oblige la préfecture à se concentrer sur la criminalité

Mayotte : la décision de Catherine Vannier oblige la préfecture à se concentrer sur la criminalité

catherine vannier mayotte interpelation
catherine vannier mayotte interpelation

Le gouvernement a mobilisé 1800 gendarmes pour la destruction de bidonvilles. Mais le tribunal de Mamoudzou a perturbé le calendrier, obligeant les forces de l’ordre à revoir leur mission. Si bien qu’au lieu de voir des images d’habitats précaires démolis les uns après les autres on assiste à une multiplication des arrestations de délinquants. Pour certains éditorialistes, la magistrate reste coupable. Elle est depuis victime d’une campagne de diabolisation.

Les faits : une semaine de patrouille et d’interpellation

Après la décision du tribunal interdisant la destruction du bidonville à Talus 2, la préfecture a tenté une opération de communication à Longoni. Dix maisons ont étés détruites pour assurer à la presse que « l’opération wuambushu continue ». Mais les habitants de ces maisons illégales sont mahorais. L’un d’eux témoigne à France Info « La préfecture, le gouvernement font ça exprès pour masquer leur échec à Majicavo et à Tsountsou ». Si l’opération sert visiblement la communication de la préfecture, il n’en reste pas moins que la zone doit servir pour la construction d’un lycée.

Depuis le 27 avril les forces de l’ordre semblent donc se concentrer sur deux autres missions. Tout d’abord les contrôles routiers et d’identités pour interpeller les migrants en situation irrégulière. Conséquence du refus des autorités comoriennes de voir leurs ressortissants débarqués, la majorité des profils concernent des citoyens malgaches. Trois avions ont décollé de l’île pour des reconduites à la frontière.

L’opération wuambushu se recentre aussi sur l’arrestation des criminels qui pillent routes et maisons mahoraises. Chaque jour et chaque nuit la préfecture annonce de nouvelles opérations. Situation qui n’aurait pu être permise en affectant l’essentiel du dispositif à la protection des bulldozers. Des interpellations qui bénéficient aussi de l’effet de surprise grâce à des patrouilles en profondeur dans les bidonvilles. Là où l’initiale destruction de bidonvilles nécessitait un affichage préalable et la communication des dates d’intervention.

La semaine dernière 21 personnes ont été interpellées et des machettes  saisies.

Armes saisies lors des interpellations à Mayotte.

Face à la pression policière un chef de réseau est interpellé. Il aurait fournit du matériel à plusieurs émeutiers. Du 29 au 30 avril se sont 14 autres personnes qui sont arrêtées.

Début mai, la justice française a condamné à de la prison ferme deux passeurs récidivistes qui monnayaient le passage en kwassa des îles comoriennes vers l’île de Mayotte. Les migrants présents sur les embarcations ont fait l’objet d’un suivi sanitaire et d’un placement en centre de rétention. Mais concernant le nombre de personnes actuellement présentes au sein du CRA, ni la Préfecture ni Le Ministère de l’Intérieur ne nous ont répondu.

Le contexte : Catherine Vannier diabolisée, n’a pourtant pas immortalisé l’interdiction de destruction

Depuis sa décision, la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou fait l’objet d’une campagne de harcèlement d’une rare violence dans un État de droit. Des partis politiques y participent, à l’image du Rassemblement National et du parti Les Républicains. Avec la ritournelle contre le syndicat de la magistrature qui aurait piloté la décision de justice. Or le communiqué du syndicat est très clair : il demande aux magistrats de ne pas céder aux pressions de l’exécutif et de se concentrer sur les droits humains. Ce n’est donc pas une ingérence politique mais un rappel des impératifs légaux qui reposent sur des textes de lois fondant la nation française et les chartes internationales auxquelles elle adhère.

L’avocat de la Préfecture de Mayotte jette lui aussi de l’huile sur le feu. Maître Rapady commentait la procédure lancée par des habitants du bidonville Talus 2 : « Nous sommes dans une hystérisation juridictionnelle collective ». La presse a multiplié les articles s’intéressant à la personnalité de Catherine Vannier. Un glissement qui déplace le débat juridique vers l’argument ad personam. Les comptes rendus d’audience exposent pourtant les arguments juridiques. Leur énumération permet d’ailleurs à la préfecture de Mayotte de savoir quels éléments sont à parfaire pour obtenir le droit de démolition lors du jugement en appel. Car ce n’est pas la destruction du bidonville en soi qui est contestée, mais la manière de réaliser l’opération.

Les arguments des avocats des plaignants sont précis : « À aucun moment il n’a été prévu de dispositif pour mettre à l’abri les effets personnels des délogés ». Outre les risques d’effondrement en chaîne du bidonville, menaçant la sécurité des résidents, les rapports d’audience démontrent des irrégularités de la part de la Préfecture. Le contrat devant permettre la conservation des biens des personnes expulsées serait vide et des conclusions préfectorales parlent d’habitants absents de leur logement lors des inspections, éléments contredits par les concernés.

A défaut de pouvoir combattre la juge sur les éléments juridiques, des éditorialistes ont donc choisi de s’en prendre à la personne qui a pris la décision. Sur les réseaux sociaux la magistrate est qualifiée de juge d’extrême gauche et le journal Le Figaro s’adonne au confusionnisme le plus primaire « La question des motivations peut alors se poser ».  Celle de la pertinence des arguments juridiques est en revanche totalement omise…

 

Des campagnes de harcèlement sont présentes sur les réseaux sociaux et s'appuient sur les articles médiatiques qui déplacent le sujet sur la personnalité de la magistrate.

C’est une offensive contre la justice française qui repose sur les fantasmes d’une amnistie généralisée pour les délinquants. Pourtant en février 2023 Catherine Vannier confirme que la justice mahoraise n’est pas laxiste  : « Les peines prononcées sont loin d’être légères. On en veut pour preuve la surpopulation à la prison de Majicavo ».

Peu importe pour les partisans d’un pouvoir exécutif supérieur à l’État de droit : il faut démolir quelles qu’en soient les conditions. Valeurs Actuelles ira jusqu’à publier les propos diffamatoires du député Les Républicains de Mayotte Mansour Kamardine « Ce n’est pas une décision, c’est une délibération du Syndicat de la magistrature […] Toutes ces associations droit-de-l’hommiste, ce sont des militants de l’extrême gauche ». Rappelons tout de même que la participation à une campagne de diabolisation de la justice en sortant des arguments juridiques est en principe puni par l’article 434-25 du code pénal, par six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.

Plutôt que de diaboliser la justice française, les militants en faveur des évacuations devraient inciter la préfecture à renforcer ses dossiers et respecter les impératifs légaux. Le Tribunal prenant sa décision non pas en fonction des éditoriaux incendiaires, mais à partir d’éléments factuels.