Pour s’installer en Afrique, Kémi Seba a réalisé plusieurs mises en scène afin de se racheter une image après des propos antisémites et une condamnation pour agression sur un journaliste. Parmi elles : construire un village au service des militants panafricains. Une très belle initiative sur le papier mais qui s’est révélée être un projet immobilier pour un investisseur du luxe européen.
L'annonce : Un lieu de vie pour les panafricains
Kemi Seba s’installe au Sénégal en 2011. Il y investit la politique et les médias en se présentant comme réfugié politique. Transformant ses condamnations pour agression sur un journaliste et antisémitisme comme une « répression impérialiste ». Mais son image se ternit peu à peu. Des propos islamophobes ressortent sur les réseaux sociaux africains et les intox autour de sa nomination comme porte parole du ministre Amadou Lamine Faye, ternissent son image.
Pour reconquérir les opinions publiques il annonce en 2012 un renouveau dans son activisme : « il est temps de passer au concret, l’heure n’est plus à la contestation, c’est le moment d’entrer dans un panafricanisme de construction sur le terrain. » Un discours largement salué pour le développement de l’Afrique.
Dans un clip promotionnel on voit des ouvriers poser les fondations d’un village au Sénégal. Kémi Seba s’affiche alors comme le porte parole de cette initiative autour du titre « retour définitif en Afrique ».
Il explique sa présence sur le chantier « a un moment si la contestation est éternelle elle tourne dans le vide. Si la contestation n’est pas suivie de proposition on ne va nul part (…) Et c’est en ce sens là que j’ai répondu à l’appel de l’homme d’affaire panafricain Fred Kano. Un homme de grande envergure, de grande valeur, un ancien mannequin international qui a décidé de dédier sa vie à la revalorisation de l’Afrique. Et en ce sens là il m’a engagé pour que je sois le porte parole de la société Afrikan Mosaique, qui est dans la démarche de construction d’un village panafricain ici au Sénégal. Qui s’appelle Dalaal Diam ce qui signifie en wolof « que la paix soit avec vous ». Ce village là a vocation à accueillir toutes les personnes qui voudront investir plutôt que d’avoir des logements miteux, d’être des mendiants en occident. Ils pourront investir à des prix largement abordables pour avoir un logement, un lieu pour les anciens et les jeunes. Pour qu’ils puissent être dans cette optique de créer cette émulation, cette rencontre qui pourra permettre la reconstruction et la refondation d’une nouvelle vision du panafricanisme dans son ensemble. »
Lors des appels à soutien sur les réseaux sociaux, le projet met en avant la mise à disposition de locaux pour la formation des jeunes panafricains et les réunions entre militants. Un projet profondément constructif qui devait mêler solidarité, facilité d’accès au logement et politique.
La réalisation : Un hôtel trois étoiles
Le seul élément promis qui s’est concrétisé est la localisation du projet : en Afrique, au Sénégal. Contrairement aux annonces, le lieu n’est pas accessible aux locaux. La chambre la moins chère est à 30 euros la nuit pour deux personnes et la plus chère à 100 euros. Le salaire moyen au Sénégal est estimé à 184 euros mensuel. On voit difficilement comment les sénégalais pourraient se loger dans le « village panafricain ».
Même si il existe des tarifs réduits pour une location mensuelle, le prix de l’hébergement reste calqué sur les revenus occidentaux et la clientèle se compose essentiellement de touristes européens.
Dalaal Diam après avoir bénéficié d’une énorme publicité pour son engagement panafricain, se révèle être un hôtel touristique de luxe. Les ateliers de formation ont été remplacés par des piscines et un restaurant. Les espaces de réunions et de débats par des séances de méditation.
Le lieu met effectivement en valeur le patrimoine africain, à travers une gestion écologique des espaces naturelles et par une architecture d’inspiration africaine. Et permet la création de quelques emplois. Mais le lien avec l’Afrique en reste là. Dans les activités proposées on se croirait en plein safari : « Ecouter, contemplez le crissement d’un perroquet, le glapissement d’un singe, le hurlement d’un chacal, l’effleurement d’un caméléon, le roulement du tam tam… ». On est loin de la promesse faite par Kémi Seba et pour laquelle il fut engagé, de créer un espace pour les intellectuels africains en émulation pour la refondation du continent.
Qui est l’homme d’affaire panafricain propriétaire des lieux ?
Suite à la présentation de Kémi Seba on s’attend à un Frédéric Papp (alias Fred Kalo) très investi dans le développement de l’Afrique. Son curriculum vitae indique plutôt le profil d’un riche homme d’affaire européen spécialisé dans le tourisme de luxe. Comptable de formation, il fut gestionnaire de fonds à la Commission Européenne de Bruxelles. Il se passionne ensuite pour les milieux marins et devient skipper professionnel, puis vendeurs de yachts à Antibes. Il décide ensuite de s’installer au Sénégal pour monter ce projet immobilier.
Sur la page de l’hôtel Dalaal Diam, Frédéric Papp rappelle les objectifs initiaux « colonie de vacances pour les jeunes, agriculture et élevage, développement économique, développement infrastructurel, développement écologique (reboisement, préservation de la faune et de la flore) ».
Il semble ensuite y avoir eu des problèmes dans la réalisation de la partie militante panafricaine : « Le bilan du programme initial n’ayant pas atteint ses objectifs, bon nombre de secteurs ont du être abandonnés, en cause, le manque d’implications des cadres. Dès lors, Dalaal Diam Village recentre ses activités autour du concept d’Eco Lodge. »
Du côté de Kémi Seba, plus aucune communication. Ce n’est pas le premier projet qu’il promotionne par des slogans panafricains et qui disparaît. Mais c’est le premier où il utilise cette argumentation au profit d’un hôtel pour touristes et d’un riche plaisancier.
Sources :
– Le site officiel de Dalaal Diam : http://www.dalaaldiam-village.com/index.html
– L’annonce faite par Kémi Seba en 2012 : https://www.dailymotion.com/video/xpmaex
– CV de Frédéric Papp : http://www.dalaaldiam-village.com/biographie.html
– Kemi Seba en garde à vue pour l’agression de l’auteur d’une vidéo, 2008, article de Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/20/kemi-seba-en-garde-a-vue-pour-l-agression-de-l-auteur-d-une-video_1133451_3224.html