Le 27 juin une vidéo accusant l’armée française de versement d’argent et livraison d’armes à des groupes djihadistes est diffusée sur des médias maliens. Loin d’une simple fake news, la vidéo confirme la présence d’une guerre de désinformation. Ces intox sont aussi le signe d’une volonté d’encourager les attaques contre les militaires français, puisque les auteurs de ces contenus les confondent avec les terroristes qui agissent au Mali.
Les faits : Une vidéo non sourcée au contenu explosif
Face à la caméra un jeune homme qui semble blessé au bras témoigne. Il se présente comme un membre du groupe terroriste JNIM et multiplie les accusations. La France financerait le groupe terroriste en lui demandant d’enlever des civils « surtout des enfants ». Ces enfants seraient ensuite enrôlés dans des ateliers de fabrication d’engins explosifs.
Aucune information n’est fournie concernant l’auteur et le contexte de la prise vidéo. Elle apparaît simplement sur le compte Twitter d’un certain Luka Malle. Profil sans photo crée en avril 2022.
Elle est rapidement partagée par des comptes se revendiquant maliens, crées à la même période. Ces comptes ont comme caractéristique commune de faire la promotion des actions russes et d’appeler à rompre les coopérations militaires entre nations africaines et armée française.
Pour le Général Ianni, porte parole de l’État Major des Armées « Nous sommes face à un cas typique de guerre communicationnelle » il nous précise que Wagner pourrait être à l’origine de ces mises en scène, sans pour autant l’affirmer. Les terroristes ayant autant que la Russie, intérêt à créer ces désinformations pour opposer les armées maliennes et françaises.
Certains éléments de la vidéo comprennent des contradictions notamment en nommant Gassi Boubakari comme collaborateur du JNIM et source de financement. Contacté par notre rédaction, Ishaq Ag Alhousseyni, parent de l’accusé, dénonce une diabolisation sur fond d’instrumentalisation des enjeux sécuritaires. « Mon frère est impliqué dans la politique à Adiora, il a été kidnappé par le JNIM en mars 2021. Il était accusé d’avoir participé avec Barkhane à l’élimination d’un chef terroriste. Il a pu prouver qu’il n’était pas présent le jour de sa mort et fut libéré en juillet. » Un évènement emblématique de la situation sécuritaire au nord du Mali, où les populations doivent conjuguer entre les menaces terroristes et les suspicions de collaboration de part et d’autre. Ishaq dénonçait d’ailleurs en avril dernier l’arrestation de ses cousins par Barkhane, toujours près d’Adiora. Ils étaient cette fois ci suspectés de lien avec les djihadistes, puis furent libérés après avoir été blanchis.
Un jour une localité est contrôlée par un groupe djihadiste, la semaine d’après par l’État malien ou les forces internationales. Chacun suspectant ensuite des locaux de collaboration avec le camp adverse, les civils sont contraints de rester tiède avec tout le monde.
C’est dans ce contexte que les leaders communautaires sont parfois utilisés par les ONG pour envoyer de l’aide humanitaire aux populations victimes de la crise sécuritaire. Un conseiller accès humanitaire sous couvert de l’anonymat explique « passer par les leaders communautaires est parfois le seul moyen d’acheminer l’aide dans les zones où agissent les terroristes ». Le pillage et la prise d’otage étant l’un des principaux revenus des djihadistes, les humanitaires et leurs fonds sont une cible privilégiée.
Comme dans la plupart des conflits, malgré les accords pré établis entre les médiateurs locaux et les groupes djihadistes dans le but d’acheminer l’aide humanitaire, il arrive que les fonds soient tout de même pillés. Ce qui ne permet pas pour autant d’accuser les victimes de financer le terrorisme. Notre témoin ajoute « nous essayons par ces intermédiaires d’obtenir des garanties avant de concrétiser une mission ».
Le contexte : L’action militaire française au Mali dément les compromissions :
Il est difficile de répondre à une vidéo sans source qui s’appuie sur un témoignage oral. Mais les combats qui se déroulent au Sahel contredisent la vidéo, notamment en raison de la mort de 58 militaires français depuis le début de l’opération anti terroriste.
L’armée française a d’ailleurs éliminé plusieurs chefs djihadistes, dont Almansour ag Alkassim, leader du JNIM en 2018. En marge du retrait français du Mali, le 25 février les soldats tricolores éliminent Abou Ammar al Jazairi, cadre d’AQMI. L’État malien conduit par Assimi Goïta, était alors en pleine opération de diabolisation des militaires français qu’il accusait d’être inutile et inefficace. Il s’est donc privé de féliciter les succès militaires français pour asseoir sa nouvelle politique étrangère devant l’opinion publique.
L’Etat-Major des armées ne communique pas sur l’ensemble des terroristes éliminés et ne s’autorise la diffusion d’information que pour les leaders abattus.
Liste des cibles d’importances éliminées au cours de l’année 2021, période précédant la demande des autorités maliennes de clôture du partenariat de défense :
• Juin 2021, les membres de l’EIGS Dadi Ould Chaib, chef de groupe plus connu sous le nom d’Abou Dardar, et Sidi Ahmed Ould Mohammed, alias Khattab al-Mauritani, ont été capturés tandis que Almahmoud ag Baye, alias Ikaray, important cadre de l’EIGS, a été neutralisé ;
• Juillet 2021, Issa Al Sahraoui, coordinateur logistique et financier de l’EIGS et Abou Abderahmane Al Sahraoui, second cadre de l’EIGS chargé de prononcer des jugements, ont été eux aussi neutralisés ;
• Août 2021, Adnan Abou Walid al-Sahraoui, « émir » de l’EIGS a été neutralisé ;
• Octobre 2021, neutralisation de Oumarou Mobo Modhi, chef de groupe important au sein d’Ansarul Islam ;
• Octobre 2021, neutralisation de Saghid ag Alkhroro/Nasser al Tergui, chef de la Saryat Gourma et adjoint d’Abou Hamza al Chinguetti, émir du Gourma pour le RVIM ;
• Décembre 2021, neutralisation de Soumana Boura, chef de groupe de l’EIGS et responsable de l’assassinat de 6 Français dans le parc de Kouré.
La communication hostile du gouvernement malien dénote avec les communiqués des autorités françaises, qui loin de dénigrer les capacités de l’armée malienne, présentaient en janvier une opération des FAMA contre les groupes armées terroristes par les mots suivants : « un nouveau coup porté aux Groupes armés terroristes (GAT) par les Forces armées maliennes (FAMa) illustrant la pertinence du partenariat de combat de la Task force Takuba. Ce type d’action permet de rassurer les populations locales. Elle démontre la montée en puissance opérationnelle et l’autonomisation de ces unités maliennes dans la conduite des opérations, en particulier nocturnes. »
Fin novembre 2021 une communication similaire met à l’honneur l’ULRI 6 rattachée à l’armée malienne, suite à la clôture d’une formation de cinq semaines aux côtés de la force internationale. L’objectif consistait à partager les techniques de renseignement et d’observation permettant de détecter les percés djihadistes. C’est d’ailleurs l’un des principaux atouts de l’armée française au Mali. Evitant plusieurs attaques par la détection des caches d’arme pré-positionnées par les terroristes. La réduction de ces opérations de reconnaissance pourraient d’ailleurs expliquer l’augmentation des attaques et des pertes occasionnées contre les civils et l’armée malienne.
Autre opération contre le terrorisme : le 21 mai 2022 un groupe de 200 djihadistes lance une attaque contre un site militaire bukinabè. L’armée française engage alors ses Mirages 2000 en provenance de la base de Niamey et fait échouer l’offensive en duo avec l’armée burkinabè.
Les faits d’armes sont nombreux, tant du côté africain qu’occidental et contredisent les accusations de la vidéo. Lassés par 10 années de persistance terroriste, les maliens sont toute fois dans une situation qui offre un large spectre d’influence à la désinformation. Celle ci est renforcée par les oppositions idéologiques et de pouvoir interne au pays. Certains groupes rebelles souhaitent toujours l’indépendance, certains militaires maliens sont emprunts d’un racisme prononcé contre les populations de culture nomade, les rebelles et les groupes terroristes sont parcourus par des conflits internes. Il suffit donc d’une vidéo sortie de nul part pour encourager les fantasmes et nuire à ses rivaux. Sans même avoir à prouver le contenu de cette vidéo pour laquelle trop peu de personne se demande : qui est l’auteur d’une prise de vue aussi importante, diffusée ensuite sur le compte d’un inconnu ?
Sources et bibliographie :
– La vidéo nous a été envoyée par un lecteur de Pragma Média.
– Interview d’Ishaq Ag Alhousseyni concernant Gassi Boubakari
– Indications sur la primo diffusion de la vidéo obtenue par le réseau citoyen 2r3s : https://www.facebook.com/2R3SSahel
– Echange de mails avec l’Etat-Major des armées françaises.
– Conversation téléphonique avec le Général Ianni.
– Mort d’Abou Ammar al Jazairi : https://www.europe1.fr/international/pourquoi-la-neutralisation-de-yahia-djouadi-au-mali-est-importante-pour-la-france-4097972
– Mort d’Al-Mansour Ag Alkassim : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20181115-mali-chef-faction-al-mansour-ag-alkassim-vise-raid-barkhane
– Le Ministère de la Défense française honore les soldats maliens : https://www.defense.gouv.fr/operations/actualites/barkhane-task-force-takuba-succes-contre-groupes-armes-terroristes-larmee-malienne-soutenue