Un patchwork qui ne surprendra pas ceux qui se souviennent des interventions d’Eric Zemmour dans les meetings de l’UMP. La communication du support repose d’ores et déjà sur une défiance vis à vis de la Presse traditionnelle et prétend n’avoir aucune idéologie. Pourtant l’équipe choisie est très orientée.
Les faits : Une idéologie qui ne dit pas son nom
Sur Europe 1 le co-fondateur de Factuel, Stéphane Simon, affirme que le média « produit de l’information exclusive. Nous ne dépendons d’aucun calendrier idéologique.» Mais le choix des premiers sujets ainsi que le parcours de l’équipe démontrent le contraire.
Première enquête : la publication de manuscrit de Céline. Auteur antisémite ayant collaboré avec le régime nazi mais dont le talent littéraire permet de faire survivre ses publications. Il est souvent utilisé par les milieux d’extrême droite pour dénoncer les atteintes à la liberté d’expression.
La rhétorique marketing est subtile : le média serait sans idéologie car ne concernerait que les faits. Pour appuyer ce propos Stéphane Simon s’oppose à un journal de gauche : « Médiapart est très engagé, politiquement on va dire. Il y a un calendrier idéologique. Nous on fait factuel, donc l’idéologie en moins. » Factuel réalisera t’il des enquêtes sur les détournements de fonds publics issus de l’ensemble des partis ? On attend de voir. Car si l’angle idéologique de Médiapart est assumé, sa pratique en terme d’investigation n’épargne personne.
Le refus de l’idéologie comme formule de communication est une ritournelle déjà utilisée par les chaînes d’informations en continu. Milieu dont proviennent la plupart des membres de l’équipe rédactionnelle. Il est possible de taire les slogans politiques et d’adoucir les angles mais de là à se revendiquer garant de la neutralité, le pari est osé.
Les internautes ne sont pas dupes, comme le souligne certains commentaires « Heureusement que vous n’avez aucune idéologie […] tous les articles sont liés à l’extrême droite et ses thématiques. Le tout soutenu par des figures de CNEWS. »
Concernant l’indépendance du média elle reste à confirmer. Le capital de l’entreprise est actuellement de 20.000 euros. Une somme plutôt modeste alors que la composition des équipes annoncent déjà une vingtaine de journalistes salariés pour un lancement officiel prévu en mai 2023. Les porteurs de projet espèrent 25.000 abonnés pour un revenu annuel avoisinant les 2 millions 375.000 euros.
L’un des fondateurs de Factuel est Sami Biasoni, directeur de cabinet et secrétaire général de la direction innovation digitale à la Société Générale. On note aussi une forte présence de journalistes issus des groupes Canal+, Altice et NextRadioTV, propriétés respectives de Vincent Bolloré, Patrick Drahi et Alain Weill. Le gain pour le pluralisme de la presse reste à confirmer.
Le contexte : Qui compose la rédaction de Factuel ?
Les parrains :
– Christine Kelly : Journaliste de profession, ancienne membre du CSA, elle est connue pour ses affinités avec Eric Zemmour et une modération des débats sur Cnews très orientée en faveur des idées de l’extrême droite. Sa capacité à contrer les désinformations exprimées à l’antenne est proche du néant.
– Dominique Rizet : Ancien journaliste du Parisien, des Nouvelles de Versailles, du Figaro, de France Soir et de BFM-TV. Il est spécialisé dans les faits divers. Sa recherche du buzz l’a conduit en 2015 à révéler l’emplacement d’otages de l’hyper-cacher avant même leur libération. Un choix qui a fait polémique et constituait une mise en danger. Il est aussi proche du syndicat Alliance Police Nationale, dont il anime le 10ème congrès en avril 2023.
La rédaction :
– Romain Renner, rédacteur en chef de Factuel. Sa carrière se concentre au Figaro. Ses publications et thèmes sont variés.
– Noémie Halioua, responsable du service international de Factuel. Journaliste au Figaro et rédactrice en chef du bureau parisien d’I24news, média régulièrement accusé de soutenir le projet politique de Benjamin Netanyahou. Noémie Halioua est une invitée régulière de Front Populaire de Michel Onfray. Sur Causeur elle publie des articles de soutien à Alain Finkielkraut. Après la sortie sexiste de Vincent Cassel, Noémie Haliouna lui apporte son soutien.
– Anissa Arfaoui : elle semble avoir été recrutée par Romain Reiner par une prise de contact sur Twitter. Chroniqueuse à Télé Matin elle a un engagement fort sur les thèmes de l’Education Nationale. Sans que cela ne puisse réduire son positionnement politique, elle soutien et promotionne plusieurs interventions de Zartoshte Bakhtiari, maire de Neuilly-Sur-Marne, ancien candidat de l’UMP devenu sans étiquette. Elle propage des confusions qui surfent sur le complotisme et retweet des comptes antivax.
Elle promeut les contenus de Fabrice Di Vizio, connu pour l’intensité de ses désinformations et son extrémisme verbal. Précisons qu’il s’agit là de retweet et qu’elle exprime aussi des positions anti-racistes.
– Sabrina Bouyer : responsable du pole France à Factuel. Réalisatrice elle fut rédactrice en chef à RMC Story de 2018 à 2019 pour les sujets judiciaires. Ses thèmes se focalisent autour des faits divers. Elle réalise notamment des documentaires pour C8 et dirige l’émission Alerte Enlèvement : les grandes affaires. Elle semble apprécier Nicolas Sarkozy et s’affiche à ses côtés dans des publications sur Linkedin.
– Benjamin Fayet : responsables des blogs de Factuel. De 2020 à 2022 il est chef d’édition web pour le média de propagande Russia Today France.
– Xavier Legay : chef du service Média – Culture à Factuel. Il préface le livre de Laurent Taubiana Covid 19, une autre vision de l’épidémie, dont l’auteur déclarait en 2020 « ça crève les yeux, le virus ne circule pas » ajoutant que les hôpitaux n’étaient pas surchargés et que le covid ne serait qu’une simple grippe.
Si vous trouvez que les chaînes d’information en continu ne diffusent pas assez de faits divers, Factuel vous propose une équipe spécialisée dans ce domaine.
Les enjeux : Objectivité et neutralité dans la presse, des concepts marketings
C’est un débat qui anime les colloques en journalisme et les écoles depuis des décennies. Le journalisme est-il objectif ? La réponse demande des nuances. Le journalisme est en quête d’objectivité en cela qu’il doit s’assurer de traiter des éléments vérifiés, croiser des sources et remettre l’information en contexte. La Commission Paritaire des Agences et Publications de Presse, organe chargé d’attribuer le statut Presse, précise que l’information politique doit « apporter de façon permanente sur l’actualité politique et générale, locale, nationale ou internationale, des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens ».
Paradoxalement l’âge d’or du journalisme se situe dans les périodes où les rédactions furent les plus militantes. Le journal Libération fut par exemple utilisé comme un tract politique par son fondateur Jean-Paul Sartre qui en assurait la distribution à la sortie des universités. Le Figaro fondé en 1826 est considéré comme l’un des plus anciens journaux au monde et fait ses débuts sous l’angle de la satire politique.
La logique de neutralité dans les médias privés est assez récente. Elle sert principalement de levier de communication pour rassurer le lectorat sur les intentions du support éditorial. Mais la démarche n’est pas très honnête puisqu’elle occulte la logique du travail journalistique. L’information n’est jamais neutre. Une rédaction est confrontée aux choix d’une infinité de sujets, cette première étape exige déjà une décision partiale. Vais-je publier sur le travail d’une association ou sur une agression ? De quelle manière vais-je angler l’article ? Puis s’ajoute la sélection d’intervenants, de citations et de sources. Il est ensuite possible d’augmenter ou de réduire la part d’opinion, mais le processus dans son ensemble représente toujours une démarche idéologique. Ce qui va garantir au lecteur une information fiable n’est pas tant l’angle politique, que la propriété du média, sa méthodologie de travail, les sources et les compétences associées.