La crise du covid a mis en relief un problème dans l’économie française : les capacités de certaines entreprises à frauder leur déclaration. Un problème qui va de paire avec la distribution d’aides de l’État pour des entreprises en crise, qui ne le sont pas toujours. Face à ces enjeux, le gouvernement souhaite rendre obligatoire la facture électronique à partir de 2024. Mais sur ce point la mesure risque de n’avoir aucun impact.
Les faits : Une numérisation progressive des factures
La réforme est actée lors du vote de la loi de finance rectificative de 2022. Le ministère précise « Le déploiement de l’obligation de facturation électronique se fera progressivement, en tenant compte de la taille des entreprises, afin de permettre à chacune de s’approprier ses nouvelles obligations dans les meilleures conditions ». Le 17 août Bruno Le Maire confirme le calendrier qui s’échelonne en trois dates :
– 1er juillet 2024, en réception à l’ensemble des assujettis et, pour l’émission, aux grandes entreprises.
– 1er janvier 2025, pour les entreprises de taille intermédiaire.
– 1er janvier 2026, aux petites et moyennes entreprises et microentreprises.
Une expérimentation de la réforme est prévue à partir du 3 janvier 2024. Des portails partenaires de l’administration public seront accessibles pour homologuer les envois. Mais c’est autour du portail public de facturation Chorus que l’essentiel des échanges devrait s’opérer.
D’après le ministère de l’économie, la numérisation des factures permettra une économie de 4,5 milliards d’euro pour les petites et moyennes entreprises. La dématérialisation devrait aussi simplifier les déclarations de TVA en permettant, comme pour l’imposition des particuliers, le pré-remplissage automatique des déclarations.
L’Italie utilise déjà un système analogue. Depuis 2014 l’envoi de facture électronique à destination de l’administration publique est obligatoire. Le pays en 2019 étend la mesure aux échanges au sein du secteur privé.
Selon la Compagnie européenne de gestion par l’informatique décentralisée « environ 5% du CA d’une entreprise est consacré à la gestion de ses documents papiers ». Le traitement des factures au représente un coût que ce soit en terme d’impression, de temps de travail associé ou d’archivage. Les factures papiers devant être conservées pendant une durée de 6 ans, elles constituent donc un volume non négligeable.
Les grandes entreprises peuvent opérer des économies d’échelle là où les structures plus modestes ont du mal à compenser ces coûts. La numérisation devrait donc s’accompagner d’une meilleur rentabilité. Encore qu’il faudrait calculer les gains réels pour les quelques PME n’étant pas équipées d’outils informatiques. La plateforme Chorus reste cependant accessible par smartphone.
Le contexte : Une fraude et un manque à gagné pour l’État
Concernant l’objectif annoncé par le ministère d’« amélioration de la lutte contre la fraude, au bénéfice des opérateurs économiques de bonne foi et d’une concurrence loyale », aucune démonstration n’accompagne la communication gouvernementale.
La numérisation des factures n’est pas une transmission en direct des données de paiements. La fraude ne devrait donc pas être affectée concernant les méthodes telles que la non déclaration des produits et services vendus en échange de liquidité, qui permettent de s’affranchir des cotisations et de baisser artificiellement son chiffre d’affaire.
Une méthode fortement employée lors de la crise covid pour dissimuler le maintien d’activité et bénéficier des aides au chômage partiel et du fond de solidarité. Ce dernier était accessible par la simple justification d’une perte de 10 % du CA par rapport à l’année précédente. Ainsi la dissimulation des paiements permettaient aux entrepreneurs d’être rémunérés une seconde fois par l’État.
Pour Sylvain, chef cuisinier employé dans plusieurs restaurants durant l’épidémie de covid « En tant normal la restauration est déjà un secteur qui se prête à la dissimulation du chiffre d’affaire, grâce aux paiements en liquidité et des équipes réduites. C’est souvent une nécessité pour la survie de l’entreprise. » Conscient des difficultés du secteur il a cependant constaté une aggravation de la fraude : « Durant la période de covid mes employeurs ne déclaraient qu’une partie de mon temps de travail. Ils m’indiquaient que je serai payé en partie au black et de l’autre par le chômage partiel. Ils ont ainsi pu dissimuler le maintien de leur activité pour bénéficier des aides de l’État en plus de leurs recettes habituelles. »
Ces méthodes ne pouvant être éliminées que par l’obligation d’un paiement par carte bleue et l’envoi des données en instantané, a priori la numérisation des factures ne devrait pas suffire résoudre la fraude des entreprises.
Sources et bibliographie :
– Sylvain : pseudonyme d’un chef cuisinier exerçant en île-de-france
– Loi de finance rectivicative : https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/actualite-legislative/2022/plfr_ecox2218099l-_cm_7.07.2022.pdf
– Chorus : https://portail.chorus-pro.gouv.fr/aife_csm/?id=aife_index