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La liste des personnalités impliquées dans le Qatargate s’étend à la Commission

La liste des personnalités impliquées dans le Qatargate s’étend à la Commission

qatargate Henrik Hololei
qatargate Henrik Hololei

Révélation du média Politico qui a pu consulter des documents judiciaires en lien avec l’affaire Eva Kaili. Le média affirme que le Ministère du Travail et l’aéronautique qatari ont fait preuve de générosité envers d’importantes figures de l’Union. Dont le directeur général des transports de la Commission Européenne.

Les faits : Une affaire moins isolée qu’il n’y paraît

La concentration de cette affaire autour d’une personnalité politique occasionne systématiquement une baisse de la contestation. Laissant imaginer une dérive isolée. Cependant l’évolution de l’enquête souligne une corruption plus élargie que le seul cas d’Eva Kaili. Si c’est par cette dernière que le dossier s’est médiatisé, à travers la découverte de liquidités à son domicile et chez celui de ses parents, désormais ce sont les contrats passés entre la Commission Européenne et l’aviation qatarie qui sont suspectés.

Le nom qui s’ajoute au dossier est celui d’Henrik Hololei, directeur général des transports pour l’Union Européenne. Selon les informations obtenues par Politico, le haut responsable aurait voyagé 9 fois au Qatar aux frais du gouvernement qatari et de la compagnie aérienne Qatar Airways. Dans les enquêtes pour corruption, ce genre de cadeaux faits à des dignitaires étrangers en amont d’accords commerciaux, constituent une piste sérieuse justifiant la poursuite des enquêtes.

Depuis ces révélations publiées le 27 février, Henrik Hololei refuse de répondre aux différents services de presse. Mais les portes paroles de la Commission affirment que les voyages et leur financement furent contrôlés par l’Union Européenne et approuvés.

Autre figure qui s’ajoute au dossier : Marie Arena. Eurodéputé belge, elle a aussi bénéficié de trois voyages au Qatar pour lesquels des documents soulignent une prise en charge par les autorités locales. Ces cadeaux interviennent en amont des plaidoyers en faveur d’un partenariat commercial renforcé.

Le contexte : La corruption, c’est ce qui fait marcher le système

Derrière ce poncif cynique se trouve malheureusement une pratique commerciale courante en marge de la signature d’importants contrats. Peu de pays échappent à ce que l’on appelle « huiler les rouages ». La France s’est d’ailleurs fait épinglée dans ses ventes d’arme à l’Inde en ayant fait modifier les contrats pour inclure l’impunité des fonctionnaires indiens « arrosés » pour faciliter l’accord. L’affaire fut révélée par Médiapart sous l’intitulé Rafales Papers.

La logique poursuivit par ce type de corruption consiste à fournir aux intermédiaires une somme qui parait importante aux yeux du grand public, mais bien inférieure aux recettes générées par l’accord commercial. Ce qui explique la complicité fréquente des autorités aux côtés de l’entreprise candidatant aux appels d’offre. Ce type de pratique prend différentes formes allant des parts accordées dans le capital d’une nouvelle structure, à l’octroie de cash comme pour Eva Kaili, ou les voyages luxueux et divers cadeaux. Mais la méthode la plus adroite consiste à fournir une rémunération pour activité de conseil. Il est alors beaucoup plus dur de caractériser la corruption. C’est un angle mort du droit pénal qui permet de labelliser les émoluments.

Concernant Henrik Hololei, la corruption ne se contente pas de servir la signature d’un accord commercial entre l’UE et le Qatar. En effet, les deux organisations ont un intérêt commun à renforcer leurs axes de communication et il n’est donc pas nécessaire de corrompre pour obtenir l’accord. Mais cela peut impacter le contenu et notamment les droits de douane et du travail. Plusieurs voyages de monsieur Hololei concernaient une prise de parole dans le cadre de réunions sous régionales. Il s’agit du soft power Qatari : acheter des personnalités majeures participant aux tribunes ventant les mérites du pays. C’est aussi par ce biais que plusieurs politiciens interviennent en marge des polémiques sur les droits de l’homme au Qatar, pour privilégier l’amnistie.

Du côté qatari les voyages à titre gracieux ne sont pas démentis. Un porte parole du centre d’aviation national explique qu’il est normal de prendre en charge ces déplacements lors d’invitation à des réunions. Soulignant la différence de perspective entre l’opinion publique et le monde des affaires.

L’organisation Corporate Europe Observatory par la voix de Vicky Cann regrette une faiblesse législative face à ces angles morts : « Le cas d’Hololei montre que le Qatargate n’est pas isolé au Parlement Européen. Les règles d’éthique de l’Union Européenne ne sont pas assez fortes et leur application trop faible. »

Le syndicat European Cockpit Association Pilots était l’une des seules structures opposée à la signature de l’accord commercial. Et décrit la situation comme la conséquence d’un ultra libéralisme de la Commission Européenne. Pour autant, le syndicat reconnaît l’intérêt des pays européens dans leur coopération avec le Qatar. Autour du Qatargate et des accords commerciaux actuellement interrogés, convergent l’intérêt de l’industrie et du luxe européen et l’intérêt du Qatar. En effet, le pays est l’un des principaux clients d’Airbus. Mais c’est aussi les intérêts périphériques qui sont sécurisés par la multiplication des accords commerciaux, explique le syndicat : «  Par exemple la Pologne construit sa relation bilatérale avec le Qatar dans la perspective de coopération stratégique dans le secteur de l’énergie ». Sans renier la convergence d’intérêts, ce qui pose problème au syndicat, c’est la situation des travailleurs du secteur aérien et plus particulièrement des salariés qataris, mis de côté lors de ces signatures. Pour le collectif de pilotes, la perspective d’une trop forte dépendance envers les pétro-Monarchies pourrait fragiliser le système socio-économique européen. Le poids que représentent ces petits États qui n’ont d’importance que par leurs ressources minières, empiète sur les fondamentaux du monde occidental, qui se caractérise justement par les droits individuels.

Des corruptions en pagaille au niveau national et continental constituent un paysage qui peut sembler désolant. Mais si la fréquence des affaires de corruption s’intensifie au point d’atteindre nos oreilles, c’est aussi le signe d’un rapport de force au sein des démocraties et des institutions. Entre les réformes (certes timides) pour la transparence, les demandes de renforcement des lois anti-corruption et la capacité des procureurs à poursuivre leurs enquêtes sans tomber dans l’escalier, les crimes financiers sont bien plus menacés que par le passé. Cependant le déplacement de la dépendance aux énergies russes vers les énergies des pétro-monarchies et la légalisation de subterfuges, constituent un frein contre la lutte anti corruption. Sans compter que cette dernière ne se limite pas à la prise d’intérêt individuel, mais comprend une corruption affiliée aux intérêts nationaux qui peut lui apporter le soutien des institutions.