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Livraison de Leclerc et Léopard II : vrais problèmes et faux prétextes

Livraison de Leclerc et Léopard II : vrais problèmes et faux prétextes

livraison char lourd
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Le risque d’escalade est le frein le plus invoqué. Mais les contraintes sur la décision du couple franco allemand sont ailleurs et exposent une vulnérabilité stratégique. Malgré tout, l’Allemagne donne son accord.

Les faits : Il n'y a pas d'escalade dans cette étape du soutien à l'Ukraine

Emmanuel Macron se dit prêt à livrer des chars Leclerc, à condition que cela n’engendre pas une surenchère par la Russie. Discours similaire pour Olaf Scholz jusqu’au 25 janvier où il donne officiellement son accord pour une livraison à l’Ukraine.

Le positionnement précédant posait problème. En indexant la fourniture du matériel à la réaction du Ministère de la Défense Russe, il devenait le seul décideur.

Si la notion d’escalade a son importance dans l’opinion publique, la livraison de char lourd ne correspond pas vraiment à ce terme. D’un point de vue militaire, des armes plus stratégiques et plus destructrices ont été livrées. Hors une escalade repose sur la progression dans l’intervention. Les livraisons du lance missile HIMARS d’une portée pouvant atteindre 300 kilomètres et du Caesar et ses 50 kilomètres, constituaient un engagement bien supérieur à la livraison de Léopard et de Leclerc. La fourniture de ces pièces d’artillerie a crée une menace colossale sur le front russe et derrière ses lignes. Un char lourd ne pourra jamais occasionner 400 morts, comme l’ont fait les HIMARS le 2 janvier lors d’un tir sur une caserne russe.

L’argument de l’escalade est en réalité invoqué par la Russie à chaque nouvelle livraison à destination de l’Ukraine. Lorsque le Royaume-Uni s’est dit prêt en mars 2022 à livrer 6.000 missiles anti char à l’Ukraine, le ministre des Affaires Étrangères russes Sergueï Lavrov déclare qu’une telle participation engendrerait une 3ème Guerre Mondiale : « ce serait une guerre nucléaire dévastatrice ». Les autorités britanniques ont refusé de céder aux menaces et les livraisons ont permis de casser l’offensive des blindés russes. La Russie n’a rien pu faire.

Rebelote en amont des livraisons d’HIMARS. Lavrov indique : « Nous ne pouvons pas permettre à l’Ukraine d’avoir des armes qui menaceront directement notre territoire ». Le ministre menace alors d’étendre le conflit au-delà du Dombass. Un propos qui ne s’entend que dans l’univers parallèle russe et son lexique autour d’une « opération spéciale », puisque le pays frappe l’intégralité du territoire ukrainien depuis le 24 février. Les premiers jour de l’invasion ont même vu les parachutistes russes être déployés dans la banlieue de Kiev : un échec que le Kremlin cache à sa population.

Si les chars lourds sont souhaités par l’Ukraine, c’est dans le but d’appuyer la prochaine offensive. Mais leur livraison constitue un geste moins fort que la fourniture d’artillerie de longue portée. Et la Russie a démontré son bluff contre l’envoi d’armes, en ayant du ravaler sa fierté à chaque fois. Le Royaume-Uni a d’ailleurs annoncé le 14 janvier par son premier ministre Rishi Sunak, la livraison de ses chars lourds Challenger 2 : la Russie n’a à nouveau rien pu faire.

Le contexte : Livrer des chars lourds à un pays en guerre est très compliqué :

Si la France doit encore se positionner, l’accord de l’Allemagne doit être traduit en acte. Il reste un problème majeur : le déplacement de ces armes vers le front. Pour les Caesars et les HIMARS, leur largeur n’excède pas 2m80. Il est donc possible de les déplacer discrètement par des poids lourds banalisés confondus avec le transport commercial civil. Ils peuvent aussi être livrés par avion. Un Caesar pesant seulement 17 tonnes.

Mais pour les chars lourds, la logistique de transport est totalement différente. Certaines routes et ponts ne supporteraient pas leur poids. La moyenne du tonnage entre un Leclerc est un Léopard II est de 56 tonnes. De plus, le char allemand fait 3 mètres 70 de large : impossible à transporter hors d’un convoi exceptionnel.

Comment déplace t’on ces Goliath ?

Trois options existent. La première concerne une dépendance logistique déjà rencontrée au Sahel par la France : le transport par Antonov.

Selon le modèle, cet avion peut transporter jusqu’à 200 tonnes de matériel. De fabrication ukrainienne, le pays possédait 7 exemplaires avant l’invasion. Mais l’An-74 et l’An-225 ont été détruits lors des combats à Hostomel. C’est en fait la Russie qui possède l’essentiel du stock mondial à travers plusieurs compagnies de transport aérien. L’armée russe posséderait à elle seule 26 exemplaires. Cependant les américains ont aussi un avion cargo adapté : le Boeing B747-400 d’une capacité de transport de 100 tonnes. Du côté d’Airbus, les performances sont juste en dessous du poids des chars lourds. L’A300-A600F pouvant transporter 50 tonnes.

Mais la livraison par voie aérienne reste compliquée. Il s’agit de mobiliser un avion-cargo par char, de quoi ralentir l’opération. Sans compter l’hyper vulnérabilité de ces mastodontes dans l’espace aérien ukrainien.

Vient ensuite le transport par train. Dans un format similaire aux transports de blindés russes vers le Dombass et la Biélorussie : une série interminable de wagons avec chacun un char lourd. C’est le transport le plus rapide pour des stocks importants, mais aussi le plus vulnérable. Un simple sabotage peut détruire le convoi, sans compter les missiles.

Ne reste donc que le transport routier. Pour déplacer des chars lourds la France et plusieurs pays européens utilisent un camion militaire, le TRM 700 constitué d’un tracteur et d’un plateau porteur. Mais même bâché, un tel engin avec un chargement aussi large serait rapidement détecté comme un transport de blindé lourd et donc ciblés par la Russie.

Si l’acheminement de blindés en Moldavie, Roumanie et Pologne est assez facile à réaliser, la transition entre les frontières de l’Union Européennes et le front ukrainien, reste donc une problématique sérieuse. En effet, si la Russie parvenait à détruire des chars lourds avant leur arrivée dans les combats, la situation serait exploitée par la Russie pour frapper la cohésion européenne et obtenir un avantage sur le moral des troupes. Il reste néanmoins certaines tactiques pour limiter les pertes lors du transport, comme l’envoi de chars factices pour tester des itinéraires tout en divisant les frappes. Dans tout les cas, les européens ne pourront pas constituer un convoi et la livraison prendra du temps.

Les enjeux : Des livraisons qui ne collent pas au calendrier franco-allemand

Les deux puissances militaires ont lié leur destin sur l’industrie des chars lourds par un projet de développement entre Nexter, fabriquant du Leclerc et Krauss-Maffei constructeur du Léopard 2. Un remplaçant aux deux modèles est prévu pour l’horizon 2040. Ce projet impacte directement les stratégies militaires des deux pays concernant les stocks nationaux à maintenir. La France a arrêté toute production de Leclerc, tout en devant le maintenir en fonction jusqu’en 2050. Pour cela Nexter s’est vu doté d’une enveloppe pour relancer la production de pièces de rechange en plus des rénovations commandées. Le stock de Leclerc doit donc tenir encore 30 ans. Les généraux auront du mal à accepter une livraison à l’Ukraine. Du côté du Léopard, la situation diffère. Ils ont été produits en grande quantité et plusieurs pays européens se disent prêts à livrer leur stock. Mais l’Allemagne est régulièrement attaquée par des confusions avec son bellicisme lors de la 2nd Guerre Mondiale. Ces éléments de langage qui mélangent politique militariste et soutien à un pays envahi, sont portées par des opposants, une frange du mouvement pacifiste et les services russes.

Depuis le dernier sommet de Rammstein, rassemblant les alliés de l’OTAN, le chancelier allemand et le président français tiennent un discours plus ouvert. Néanmoins il semble difficile d’autoriser les livraisons par des pays tiers sans participer soit même. Le geste pourrait être exploité par l’influence russe pour appuyer les division intra-européennes. L’Allemagne a donc donné son accord en précisant qu’elle enverrait 14 chars lourds issus de son stock national.

Oleksiï Reznikov, ministre ukrainien de la Défense, annonce le 21 janvier que des soldats ukrainiens vont commencer à s’entraîner sur les chars Léopard polonais « On va commencer avec ça, et on verra pour la suite ». La Finlande souhaite participer à ce programme de formation.