L’invasion de la Russie en Ukraine contraint les pays de l’Union Européenne à augmenter leur budget défense. Le Ministère des Armées annonce se préparer pour une économie de guerre. Malgré une production de munition multipliée par trois, les stocks ne suffiront toujours pas pour une utilisation soutenue du canon Caesar. Explications et perspectives.
Les faits : Des réunions entre industriels et le gouvernement pour intensifier les productions
L’objectif du budget de la Défense française consiste à atteindre les 2 % du PIB pour 2025. Ce seuil a été fixé collectivement par les membres de l’OTAN pour répartir les efforts et permettre aux pays européens d’être légèrement plus autonomes en terme de Défense. Un enjeu capital dans un contexte de guerre en Ukraine et en marge d’une industrie militaire américaine prédominante.
Dans cette hausse budgétaire la production de munitions est interrogée. Avant même la guerre orchestrée par la Russie, les experts militaires dénonçaient un stock et une production trop faible pour une guerre de haute intensité. Après l’annonce du ministre Sébastien Lecornu devant le Sénat, concernant la commande 15.000 munitions diverses, les comptes n’y sont toujours pas. Le Ministère des Armées annonce donc la nomination de deux coordinateurs.
Le contexte : Un canon très gourmand et une population peu convaincue
C’est en Irak lors de l’intervention contre l’État Islamique que la logistique s’est révélée insuffisante. Seulement 4 canons Caesar y furent déployés. Bien que l’adversaire ne fut pas aussi nombreux que l’armée russe, il fallait déjà 10.000 obus par an pour maintenir les opérations françaises entre 2016 et 2017. Nexter précise que sur la même période, l’addition avec les tirs effectués par des canons livrés aux partenaires internationaux atteignaient 80.000 obus.
En guise de comparaison, le nombre de Caesars envoyés par la France et le Danemark à l’armée ukrainienne est de 47. En plus de ces batteries, la France conserve un stock et annonce la production de 51 autres unités d’artillerie. Dans cette perspective la commande de 15.000 munitions par an est anecdotique et correspond seulement à quelques jours d’une guerre de haute intensité. Le sujet contrarie les généraux : posséder des armes de haute technologie sans stock de munition suffisant, c’est entretenir des coquilles vides.
L’artillerie est donc redevenue un élément essentiel. Dans les guerres modernes on voit rarement son adversaire à l’oeil nu. Rien que du côté des tanks, les tirs s’effectuent à plusieurs kilomètres de distance grâce à des systèmes d’optique complexe permettant un verrouillage automatique. Ces éléments sont en interaction entre l’aviation, l’artillerie, l’infanterie et les blindés. Cette capacité d’échange d’information et de pointage partagé est l’essentiel des rénovations françaises de ces dernières années, notamment par le programme SCORPION.
En Ukraine on estime que la Russie a commencé la guerre en tirant plus de 30.000 obus par jour. Un chiffre redescendu en raison des pénuries de stock qui touche les deux nations et grâce aux livraisons occidentales qui permettent des tirs à plus longue distance et donc de freiner les batteries d’artillerie russe. Cet été l’Ukraine tirait pour sa part entre 6000 et 7000 obus par jour, indique un haut responsable de l’OTAN. La production annuelle française correspond donc à 3 jours de tir en Ukraine
Les enjeux : Le gouvernement ne veut plus augmenter sa participation durant son mandat
Le Ministère des Armées français doit rapidement restructurer la filière de la production de munition. La communication de la Défense annonce le 2 mars la nomination de deux hauts responsables pour coordonner ces efforts : Laurent Collet Billon (ancien délégué général pour l’armement) œuvrera à la densification de l’approvisionnement vers l’Ukraine en munition de 155 mm et missiles de défense sol-air Mistral. Et Monique Legrand-Larroche (inspectrice générale des armées) chargée des actions de maintenance des canons expédiés en Ukraine, elle supervisera aussi la production de nouveaux Caesars.
Ils devront accompagner les industriels de la Défense dans l’augmentation de leur production et anticiper les dépendances liées à l’acquisition de matériel via des pays étrangers. On pense notamment à la Suisse qui s’oppose à la livraison vers l’Ukraine des armes et munitions qu’elle vend au sein de l’Union Européenne, contraignant les pays membres à s’émanciper des productions helvètes.
Mais après une hausse du budget de la Défense nationale française, la DICoD précise « La commande publique ne peut pas agir comme seule guide pour l’activité de la BITD : il est primordial d’investir ». Dans un contexte de contestation sociale et de réforme des retraites, le gouvernement souhaite visiblement déléguer une part de ses responsabilités au secteur privé.
L’indépendance dans les décisions stratégiques :
Le Ministère annonce un second objectif : la relocalisation des manufactures de munitions, y compris de petit calibre. Une perspective soutenue par plusieurs généraux dont Thierry Burkhard : « S’il faut aller les acheter à l’autre bout du monde, ce n’est probablement pas raisonnable : nous offrons à nos adversaires des vulnérabilités ce qui réduit notre capacité de dissuasion ».
Si la France produit aussi peu mais reste un acteur majeur en terme de capitaux générés par l’armement, c’est en raison d’un choix industriel qui consiste à préférer la Recherche & Développement à la production de masse. C’est aussi une logique du flux tendu qui a conditionné ce manque d’investissement explique Leo Péria-Peigné, dans une note de l’Institut français des relations internationales : « En abolissant la logique de stock, l’impératif budgétaire s’est traduit par la montée en puissance d’une logique de fonctionnement en flux tendus, dépassant très largement le seul cadre des biens réservés pour s’étendre à celui des munitions et des parcs opérationnels. » L’idée consistait à prendre la direction inverse de l’URSS qui a capitalisé des stocks phénoménaux qui sont devenus obsolètes voir inutilisables. Sans aller jusqu’à la reproduction de cet extrême, il faudra néanmoins augmenter la production de munitions et définir les stocks minimaux à maintenir.
Un projet inter-allié est sollicité par la Belgique qui souhaite une participation française, luxembourgeoise et néerlandaise. Il s’agit de produire en commun des munitions intelligentes de petit calibre à travers l’entreprise belge FN Herstal. Dont les productions sont déjà sous standard de l’OTAN.
La colère contre la Suisse est à peine voilée puisque ces 4 partenaires achetaient des munitions à la nation helvète. Contrairement aux idées reçues, la Suisse est un acteur majeur dans l’industrie de la Défense. L’administration suisse a publié un rapport en 2022 indiquant la vente de plus de 47.000 armes légères en une seule année. Heureusement, l’armée française a préféré doter son personnel du fusil allemand HK416. Les ventes d’armes suisses sont d’ailleurs en chute libre depuis l’année 2020.
Pour relocaliser la production, la France peut compter sur un leader de la conception de chaîne de montage militaire : l’entreprise hexagonale Manurhin. La mise à niveau des productions sera d’autant plus lente que pour la rendre acceptable devant les Parlements et l’opinion publique, tout en maintenant la cohésion européenne et de l’OTAN, il faudra équilibrer les retombés en terme d’emplois et de recettes fiscales.