Le dérèglement climatique menace les capacités de l’industrie nucléaire, qui pour refroidir ses réacteurs, a besoin d’un apport en eau fraîche, souvent issue des rivières. Face à la canicule l’Autorité de Sûreté du Nucléaire vient de faire passer en catimini une autorisation exceptionnelle élevant la température légale pour les rejets d’eau issue de quatre centrales nucléaires. Une menace pour des écosystèmes déjà très affectés par la monté des températures.
Les faits : Une autorisation augmentant de 0,3° à 11° les rejets légaux
L’arrêté du 22 juillet pointe du doigt une situation critique « l’absence de modification temporaire des limites actuelles de rejets thermiques pourrait conduire l’exploitant à arrêter le fonctionnement de ces centrales nucléaires ou à limiter leur production à une puissance inférieure à celle demandée par le gestionnaire du réseau ».
En conséquence, le Directeur de l’Autorité de Sûreté Nucléaire notifie EDF du changement de norme. En détail les nouvelles limites de température varient du tout au tout. Les températures indiquées concernent l’écart entre la température des rivières en entrée de centrale, et celles en sortie. Avec certaines particularités, considérant les moyennes journalières « après mélange des effluents dans le Rhône ». Autrement dit les valeurs maximales peuvent être supérieures à certains moments de la journée par rapport aux chiffres suivants :
Centrale nucléaire du Blayais : +11° . Les rejets s’effectuent dans l’estuaire de la Gironde dont l’eau est renouvelée par les marées. Justifiant selon l’ANS un tel écart entre la température de l’eau en entrée et en sortie de la centrale.
- Centrale nucléaire de Golfech : + 0,3°. Située aux abords de la Garonne, dans les terres.
- Centrale nucléaire de Saint-Alban-Saint-Maurice : +3°. Située sur Le Rhône.
- Centrale nucléaire du Bugey : +3°. Située elle aussi sur le Rhône, cette hausse s'ajoute à la température de rejet de la centrale de Saint-Alban-Saint-Maurice située en amont.
Ces réévaluations sont limitées aux périodes pour lesquelles EDF est contrainte d’utiliser la puissance maximale de ses réacteurs pour répondre à la demande du réseau et au plus tard jusqu’au 7 août 2022. Élément surprenant, le suivi de cette mesure d’exception est attribué par l’arrêté à Énergies de France. Ainsi EDF est en charge de la transmission des données de température des rivières concernées, à destination du Ministère de l’Écologie, de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et des préfectures. Cela n’efface pas cependant les travaux d’autres organismes en charge de la surveillance régulière des rivières.
EDF est autorisée à attendre le 31 octobre avant de fournir un bilan de la mesure. Les évaluations finales par l’État n’interviendront qu’en mars 2023. Soit 7 mois après la fin de l’arrêté.
Un recours est éventuellement possible à travers le Conseil d’État, bien que l’arrêté souhaite en limiter l’usage : « La présente décision peut être déférée devant le Conseil d’État par l’exploitant ». Il s’agirait donc d’une possibilité de rehausser à nouveau les températures plafonds en cas de pénurie d’électricité.
Le contexte : Pour contourner le problème, l’ANS casse le thermostat
L’hypothèse d’un arrêt des réacteurs en raison des fortes températures a agité les débats il y a trois semaines. Les responsables d’EDF ont alors réalisé une tourné des médias pour rassurer l’opinion publique. On pouvait ainsi lire dans Ouest-France le 5 juillet 2022, les propos d’Hervé Cordier, chef de groupe à la direction de l’ingénierie et projets chez EDF : « Des échangeurs de chaleur et climatiseurs supplémentaires ont été placés dans les centrales », affirmant que les leçons ont été tirés lors des précédents épisodes caniculaires.
EDF précise même la brièveté de ces dérogations prononcées au cas par cas : « En pratique, le dispositif de conditions climatiques exceptionnelles n’a été utilisé qu’une seule fois en 2018 durant 36 heures par la centrale de Golfech et s’accompagne d’une surveillance environnementale renforcée ».
Une communication de crise qui se voulait rassurante mais qui s’effrite devant les arguments présents dans l’arrêté et l’autorisation d’augmentation des températures d’eau rejetée sur une période de deux semaines.
Le texte indique que ces autorisations exceptionnelles ne devraient pas menacer l’environnement. Mais la hausse des températures des rivières engendre déjà la prolifération de bactérie et d’algues qui réduisent le taux d’oxygène dans l’eau. La situation s’aggrave drastiquement au-delà d’une eau à 29°. A titre d’exemple, les populations de truites dans les rivières françaises ne se maintiennent que dans une eau entre 4 et 20 degrés. Une eau à 25 degrés pendant plusieurs jours leur est mortelle. En deçà de ce seuil, les fortes températures peuvent tout de même perturber les cycles de reproduction.
Notons aussi qu’au delà d’une eau à 15° pendant une durée de 15 jours, la faune aquatique est susceptible de contracter la Maladie Rénale Proliférative. L’infection se propage par les branchies et muqueuses des poissons pouvant engendrer jusqu’à 90 % de décès chez les poissons juvéniles.
Si les fortes températures se prolongent, il est envisageable que la mesure soit reconduite, puisque l’État a priori, ne permettra pas l’arrêt des centrales et l’intervention de coupure d’électricité.
Il existe cependant des solutions permettant de recourir à l’énergie nucléaire tout en limitant l’impact sur la faune et la flore. Il est possible de réduire la température rejetée si un générateur n’est pas utilisé à sa pleine puissance. Ce qui est permis par l’augmentation du nombre de centrale et/ou par la réduction de la consommation nationale d’électricité. Plusieurs technologies s’ajoutent aux solutions pour refroidir les eaux rejetées, mais malgré les communiqués de EDF, les travaux réalisés ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Un article du site BonPote.fr permet d’apprécier les possibilités technologiques permettant de répondre à la problématique de l’échauffement des eaux utilisées par les centrales nucléaires.
Source et bibliographie :
– L’arrêté du 22 juillet 2022 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046082991
– Article de Ouest France intégrant la communication de crise d’EDF : https://www.ouest-france.fr/environnement/nucleaire/comment-edf-veut-eviter-le-coup-de-chaud-a-ses-centrales-nucleaires-fd5f231c-fc55-11ec-b12c-d0a6feedc908
– Par BonPote.fr , « Les centrales nucléaires vont elles résister au changement climatique ? » https://bonpote.com/les-centrales-nucleaires-vont-elles-resister-au-changement-climatique-1-2/?fbclid=IwAR0MOmm87A5IAa87-NF3nuGR8WMVuo7tcOC8HuzyUTaX5t_FXDvGXvvJv4M
– Maladies et troubles engendrés par la qualité de l’eau : https://hal.inrae.fr/hal-02790071/document