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Que se cache-t-il derrière les cartes postales des orthophonistes ?

Que se cache-t-il derrière les cartes postales des orthophonistes ?

orthophoniste mobilisation carte postale
orthophoniste mobilisation carte postale

Sans fracas, la profession se mobilise depuis plusieurs semaines. Pour exprimer leurs doléances, les orthophonistes envoient des cartes postales au Ministère de la Santé. Nous avons demandé à deux professionnels du secteur de nous présenter la crise traversée par ces soignants, pour lesquels il faut parfois attendre un an, avant d’obtenir un rendez-vous.

Les faits : Un manque de reconnaissance

L’orthophonie est une discipline méconnue du grand public. La palette de compétences ainsi que les recommandations de santé, sont parfois négligées, engendrant des situations pénibles pour la profession et pour les patients. Mathilde dans son exercice de l’orthophonie regrette certaines situations « en ce qui concerne les patients porteurs de pathologies neurologiques qui ne sont parfois pas orientés vers un/e orthophoniste, cela peut avoir pour conséquences une récupération moindre de la parole. »

Jennifer, orthophoniste libérale apporte une explication. Pour elle son métier est « trop souvent rattaché à l’Education Nationale. Nous sommes contacté.e.s à tout bout de champ pour des bilans de fin de CP». Cette méconnaissance de la profession et de ses compétences crée des situations frustrantes pour les familles : « L’enfant qui est né dyslexique le restera toute sa vie, pourtant l’Éducation Nationale nous demande de justifier à plusieurs reprises ces difficultés. C’est une perte de temps pour l’enfant et pour la profession. C’est comme si vous demandiez à un enfant né paralysé des membres inférieurs de justifier sa situation chaque année ».

Et du temps, il en manque. Jennifer alerte « ça devient dramatique et pénible de dire qu’il faut attendre parfois 1 an avant de proposer un rendez-vous. » Pour elle les effectifs sont bien en deçà des besoins : « Le numérus clausus évolue trop faiblement, le nombre d’entrée en Centre de Formation Universitaire en Orthophonie (CFUO) est d’environ 1000. Il était de 850 en 2008 et ne suffit pas à compenser les départs à la retraite, les burn-out et reconversions engendrés bien souvent par le manque de reconnaissance ». La Fédération Nationale des Orthophonistes a donc rencontré le 19 juillet le conseiller santé de la nouvelle ministre de l’Éducation, Mr Laboux, afin d’exiger des moyens face aux déserts médicaux. Indiquant au ministère que les budgets des CFUO ne permettent plus un enseignement de qualité. Notamment en raison du sous-effectif dans les équipes pédagogiques.

Si l’orthophonie est en train de craquer, c’est justement parce qu’elle ne se limite pas aux contacts avec l’Éducation Nationale : « il reste les clichés comme « l’orthophoniste joue. » « l’orthophoniste c’est pour les enfants qui zozottent », « l’orthophoniste c’est pour les dyslexiques ». Or, non ! dès le plus jeune âge nous pouvons intervenir précocement : chez le prématuré et ses difficultés d’alimentation, chez le bébé chez qui on diagnostique une maladie telle que la trisomie 21, un syndrome de Pierre Robin, une surdité congénitale, etc. Plus on intervient précocement, plus vite des choses peuvent être mises en place par les parents et la famille. Nous intervenons aussi dans les difficultés d’allaitement, chez les enfants/bébés qui présentent des difficultés d’alimentation. »

Et la liste des actes médicaux ne s’arrête pas là : « Notre profession a un champ d’action extrêmement large : de la naissance à l’âge adulte très avancé ». Le vieillissement de la population et les déserts médicaux ont donc alourdi la charge de travail. L’orthophonie intervient aussi dans la rééducation post chirurgicale notamment pour les cancers impactant l’élocution, après un AVC ou un trauma. S’ajoute entre autre, les patients atteints de troubles du spectre de l’autisme.

L’État a initié une prise de conscience sur l’importance de l’orthophonie dans des cas de figures difficiles et variés : « depuis bientôt 10 ans, la profession est reconnue MASTER (bac +5) ». Une reconnaissance qui reste néanmoins symbolique : « nos confrères et consœurs salarié.e.s sont payé.e.s sur un équivalent bac+3, voir moins ».

Le contexte : la hausse du coût de la vie après le gel des revenus

Comme pour d’autres professions, la stagnation du revenu ces dernières années multiplie la grogne face à la forte montée des prix. Mathilde nous explique «  Nous voulons que la lettre-clé soit revalorisée puisque cette dernière ne l’a pas été depuis 2012. » Il s’agit d’un indice de valeur pour définir le prix d’un Acte Médical d’Orthophonie. Un AMO vaut 2€50. Chaque acte est ensuite multiplié par un nombre prédéfini par l’État : « Par exemple, pour une séance de rééducation de la dysphagie, il faut compter 11 AMO. Pour avoir le prix de l’acte, il faut donc faire le calcul suivant : 11*2.5 = 27.5€, prix d’une séance pour les dysphagies. »

Évidemment la situation diffère si le professionnel est salarié. Mais le problème du revenu demeure puisque la grille salariale n’est pas indexée sur la reconnaissance du MASTER. Les orthophonistes du public et libéraux ont donc participé conjointement à l’envoi de revendications par carte postale. La Fédération Nationale des Etudiants en Orthophonie précise d’ailleurs « Avec une reconnaissance à Bac+3 dans la fonction publique hospitalière, les orthophonistes touchent un salaire très insuffisant compte tenu de leur diplôme. De même, les orthophonistes choisissant d’exercer dans le secteur privé sont rémunérés selon des conventions collectives, négociées par leurs supérieurs sur la base de celle du public ; ils sont donc injustement reconnus dans le public comme dans le privé. »

Du côté de la Fédération Nationale des Orthophonistes, l’augmentation de l’indice de rémunération pour les salariés du secteur public ne suffit pas « Cette augmentation de 3,5% prend effet à compter du 1er juillet 2022 » mais « est bien en deçà de l’inflation qui est estimée à 5,5% pour 2022 selon l’Insee ». Selon l’organisation syndicale la réforme ne permettra pas d’endiguer les nombreux départs au sein des établissements de santé.

Sources et bibliographie :

– Témoignage de deux orthophonistes libérales.

– Site de la Fédération Nationale des Orthophonistes : https://www.fno.fr/

– Site de la Fédération Nationale Etudiante des Orthophonistes : https://www.fneo.fr/