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Aux Palaos une mafia chinoise fait déborder les prisons

Aux Palaos une mafia chinoise fait déborder les prisons

Le nom de Wan Kuok Koi, chef de la mafia des 14K, est dans le dossier de la ferme informatique arrêtée aux Palaos
Le nom de Wan Kuok Koi, chef de la mafia des 14K, est dans le dossier de la ferme informatique arrêtée aux Palaos
Le nom de Wan Kuok Koi, chef de la mafia des 14K, est dans le dossier de la ferme informatique arrêtée aux Palaos
Le nom de Wan Kuok Koi, chef de la mafia des 14K, est dans le dossier de la ferme informatique arrêtée aux Palaos

165 personnes ont été arrêtées dans une ferme informatique spécialisée dans l’escroquerie en ligne. Les forces de sécurité de La République des Palaos sont totalement dépassées et ont dû expulser les prisonniers vers leur pays d’origine : la Chine.

Les faits : L'OCCRP enquête sur les arrestations massives de 2019

Organized Crime And Corruption Reporting Project publie le 12 décembre une longue enquête sur un réseau arrêté en 2019 dans la République des Palaos. Situé au nord de la Nouvelle-Guinée occidentale, l’archipel est confronté aux luttes d’influence entre la Chine et les États-Unis

D’après les éléments obtenus par le collectif d’investigation, la mafia encadrerait le déplacement de citoyens chinois vers les Palaos. Leur tâche ? Réaliser des escroqueries en ligne contre les ressortissants chinois et blanchir de l’argent.

Pour les inciter à rester sur place, des esclaves sexuelles ont été déportées dans la ferme informatique. Selon la police locale, des témoignages dénoncent une situation où l’endettement de travailleurs chinois est aussi utilisé pour contraindre aux maintiens dans la ferme. Une autre piste aborde un trafic d’être humain via le Cambodge.

La Police locale déplore l’ampleur de ce trafic. L’expulsion des personnes arrêtées empêche de mener des interrogatoires approfondis et d’étayer le dossier. Mais avec une population totale de 18.000 habitants, la République des Palaos n’est pas en capacité de maintenir ces détentions. Elle a dû expulser les prisonniers vers la Chine.

L’arrestation de cette cellule a permis de dévoiler la présence d’une triade aussi célèbre que redoutable : les 14K. Pour l’OCCRP, il pourrait s’agir d’une stratégie conduite par la Chine pour étendre l’emprise du pays sur ses voisins de l’Océan Pacifique. Le transfert de ces travailleurs sous payés et surveillés s’opérerait par des réseaux mafieux en lien avec des hommes d’affaire, dont Zhang Baulo. Eux même en contact avec le Parti Communiste Chinois. Monsieur Baulo a pu établir ses affaires aux Palaos par la création de joint-venture et la complicité de responsables locaux.

Un illustre membre de la mafia chinoise, Wan Kuok Koi, surnommé Dent Cassé (Broken Tooth) est présent dans cette affaire. Il est à la tête des 14K. Selon la légende, son réseau comprendrait plus de 25.000 membres. Cette triade trouve son origine dans les années 1945 à Hong Kong.

La question en suspend concerne le degré de complicité des autorités chinoises dans l’installation de ces trafics. Pour l’ancien régulateur financier des Palaos, Semdiu Decherong  « à ma connaissance ils sont tous interconnectés […] il est impossible que Broken Tooth soit arrivé aux Palao sans que le gouvernement communiste ne l’apprenne. Et soit ils ferment les yeux, soit ils le soutiennent en coulisse. »

L’OCCRP a pu consulter des documents soulignant la volonté de développer un réseau criminel dans l’archipel. Entre assurance en ligne basée sur la blockchain, activités de casino et blanchiment, on comprend le recours à des travailleurs sous contraintes. Ces derniers étaient enfermés dans un régime de terreur pour les dissuader de contacter les autorités locales et leurs besoins fournis par « l’employeur ».
L’ambition de ce réseau s’est confrontée à la surveillance de la Police des Palaos et aux lois économiques prévues contre ces systèmes opaques.

Le contexte : Un fond de lutte géopolitique ?

La République des Palaos est devenue indépendante en 1994. Elle continue d’entretenir des relations privilégiées avec les Etats-Unis dont elle reste attachée par des accords de libre association. La monnaie officielle est le dollar. Le gouvernement local s’est aussi prononcé en faveur de l’indépendance de Taïwan.

Dans ce contexte, l’arrivée d’homme d’affaire chinois était déjà perçue comme une tentative de faire basculer les décisions du pays en faveur des intérêts de la Chine. Une hypothèse rendue crédible par la découverte de ces déplacements de population qui font penser à une colonisation par peuplement. Celle ci consiste à encourager les migrations pour subjuguer la population locale. La ferme informatique chinoise découverte aux Palaos représente en soit 1 % de la population totale du pays. Et sous contrôle de la mafia.

Cependant l’enquête n’est pas encore assez aboutie pour affirmer que le Parti Communiste est directement impliqué. Les triades se font la guerre et chacune tisse des relations avec des membres différents du Parti Communiste. L’ensemble ne constitue pas une politique claire, mais se compose d’amalgames maffieux en rivalité. Qui trouvent néanmoins un intérêt commun dans l’extension de l’influence et du modèle chinois qui leur sert de couverture. Cependant, certains politiciens n’agissent pas de leur plein grès. On parle de réseaux ayant perpétré un nombre incalculable d’assassinats.

Si les 14K ont des connexions avec des hommes d’affaires et des hommes politiques chinois, leurs opposants historiques sont les Sun Yee On. Groupe maffieux bien plus dominant en Chine (ses actions s’étendent partout dans le monde, y compris en France). Cependant, si Broken Tooth fut d’abord emprisonné par les autorités chinoises, il est libéré en 2012 et est depuis qualifié de loyaliste au Parti Communiste. Les témoignages recueillis par l’OCCRP ont permis d’identifier deux voyages du chef de triade aux Palaos et des contacts avec les propriétaires des locaux ayant servi de ferme informatique.

Le supplément culture : La République des Palaos

Les sociétés européennes ont découvert l’archipel par l’exploration espagnole au XVIème siècle. La région est ensuite passée sous l’autorité de l’Allemagne puis du Japon. Après la seconde guerre mondiale, l’ONU intègre les Palaos à un ensemble intitulé Territoire sous Tutelle des îles du Pacifique. Dont l’administration est accordée aux Etat-Unis d’Amérique. En 1978 les membres du Territoire sous Tutelle sont appelés à s’exprimer sur leur volonté d’indépendance. Quatre districts votent favorablement et prennent leur indépendance. Les Palaos et deux autres districts choisissent de rester sous tutelle jusqu’à la dissolution de cet ensemble en 1994. La petite République décide alors de signer un Pacte de libre association avec les États-Unis, qui lui offre un soutien économique et des garanties culturelles en échange de positionnements militaires.

Avant cette connexion au monde occidentale et nippon, les Palaos sont un territoire dont le peuplement s’initie il y a plus de 3000 ans par des migrations venues des Philippines et de Malaisie. Si les explorateurs ont posé leur marque, les cultures plus anciennes s’expriment par des revendications identitaire et un attachement à la conservation du patrimoine naturel. La préservation de ce dernier est inscrit dans la constitution du pays qui crée en 2009 la première réserve de requin. Suivie d’un second sanctuaire constitué pour les baleines, les dauphins et les dugongs. Une législation sur les quotas et saison de pêche a été définie rapidement après l’indépendance du pays afin de maintenir la faune, dans un contexte de pêche intensive pratiquée par les pays plus développés.