La pénurie d’énergie a largement conditionné l’ampleur des soutiens à l’Ukraine et les adhésions à l’embargo contre les produits russes. Si l’on peut comprendre la peur du black out, on sous-estime néanmoins le nombre de projets qui ont été initiés après la première invasion de l’Ukraine par la Russie. Certains seront finalisés pour l’hiver prochain et seront complétés par le plan REPowerEU.
Les faits : Une dépendance réduite en 2023
La Pologne consomme 9 milliards de mètre cube par l’importation et est souvent classée dans les pays les plus menacés par un embargo sur les énergies russes. Mais un futur gazoduc avec la Norvège fournira 10 milliards de mètre cube à partir d’octobre. Le pays possède un important stock de gaz constituait en prévention de la crise si bien qu’il ne devrait pas rencontrer de problèmes excessifs pour son alimentation en énergie.
Une Bulgarie récompensée pour son courage :
Les Etats-Unis avaient promis de ne pas abandonner les pays européens qui ne céderaient pas au chantage russe. L’annonce fut prise avec des pincettes en raison des intérêts économiques liés aux grands industriels américains mais le 11 mai la déclaration du premier ministre bulgare confirme les intentions.
Kiril Petkov sans indiquer le prix d’achat, affirme que les américains vont livrer du gaz liquéfié à partir de Juin, en passant par la Turquie, à un prix inférieur au gaz vendu par Gazprom : « « Il est très important que le gouvernement cherche pour la Bulgarie les conditions les plus avantageuses, cela concerne non seulement les prix, mais aussi la stabilité des livraisons afin que les entreprises bulgares et les autres consommateurs puissent prévoir leurs dépenses » ».
Une solution encourageante qui montre la possibilité de maintenir la fourniture énergétique alors que la Russie annonce l’arrêt des exportations de gaz pour les pays refusant de payer en rouble. Cependant l’importation stable en gaz n’est pas encore assurée pour la Bulgarie. En terme d’acheminement par gazoduc le projet avec la Grèce, Stara Zagora-Komotini prévoit une fourniture de 3 milliards de mètre cube, correspondant aux besoins énergétiques du pays. Le projet fut initié avant l’invasion de l’Ukraine. Mais en janvier 2022, la capitale Bulgare dénonçait les retards dans les travaux.
Ces retards ont engendré de lourdes pertes économiques pour la Bulgarie, auxquelles se sont ajoutées des refus de paiement des amendes par l’entreprise grecque en charge des travaux. La tension diplomatique était palpable jusqu’à ce que la Russie facilite les choses en amenant les européens à faire front commun. Si bien que le 29 avril, les communiqués de la Grèce et de la Bulgarie se voulaient rassurant sur la fin du chantier de gazoduc pour juin 2022, et des livraisons de gaz liquéfié depuis le terminal d’Athènes vers la Bulgarie. D’autres voix, parlent tout de même d’une fin de chantier pour 2023.
La Grèce espère livrer aussi la Macédoine et la Serbie en permettant la re-gazéification d’un total de 15 milliards de mètre cube par an. Ce qui émanciperait l’ensemble des balkans de sa dépendance à la Russie. Mais une question reste en suspend, puisque pour le moment la Grèce importe du gaz russe. Elle possède cependant la capacité de changer de fournisseur à moyen terme, en raison des investissements importants pour le traitement du gaz liquéfié qui passe par le transport maritime.
Le contexte : Des infrastructures déjà existantes et en développement
Plusieurs infrastructures sont à prendre en compte dans les alternatives à la Russie. Les projets pour diversifier les circuits d’importations sont initiés depuis 40 ans.
Le Transmed, est un gazoduc qui part d’Algérie et rejoint l’Italie. Son premier objectif fut de livrer 12 milliards de mètre cube par an par des accords signés entre Sonatrach et ENI. Non sans affaires de corruption dans leur réalisation. Le Transmed a ensuite été renforcé pour atteindre une capacité totale de 32 milliards de mètre cube.
Plusieurs projets pourraient augmenter les capacités, notamment par des connexions avec différents pays africains. Mais les troubles politiques et les foyers terroristes ne permettent pas leur réalisation. La guerre au Mali, dont l’État sous influence russe semble considérablement réduire les capacités de résistance au djihadisme, a déjà mis à terre plusieurs investissements et continuent de menacer les perspectives futures.
Le gazoduc trans-saharien né dans les années 1980 se concrétise en 2022 par l’établissement d’une feuille de route. Il doit relier l’Algérie au Nigéria pour 2027, mais rencontre une présence djihadiste sur l’ensemble de son parcours. Il a cependant survécu aux premières tensions en lien avec l’intégration du Maroc dans le projet.
Ce qui a justement fait émerger une seconde option : le gazoduc atlantique africain, aussi appelé WAGPEP . Il vise à compléter des tronçons déjà existant pour permettre l’acheminement de ressources énergétiques de la cote nigériane jusqu’au Maroc. La CEDEAO encourage vivement cette perspective afin de cumuler les recettes sur l’acheminement de ressources vers l’Europe à la fourniture locale d’électricité. Puisque tout les pays côtiers sont impliqués.
Ces deux opportunités restent vulnérables, puisqu’elles renforcent les tensions entre le Maroc et l’Algérie qui ambitionnent tout les deux, d’être des hubs vers l’Europe. Plusieurs pays ont aussi intérêt à empêcher ces projets, tels que les producteurs du Moyen Orient.
C’est d’ailleurs dans cette région que d’autres installations permettent de livrer l’Europe. Les ports du Moyen-Orient, comme des États-Unis, sont reliés à plusieurs infrastructures européennes qui permettent le traitement du gaz liquéfié. C’est la solution privilégiée pour palier aux récentes coupures dans les livraison de gaz russe. Une solution à court terme, car hormis des accords exceptionnels comme celui signé par la Bulgarie, cette option est très couteuse.
D’autres projets et approvisionnement déjà effectifs existent. L’ensemble de ces capacités seront augmentées à travers le plan RepowerUE initié en mars 2022.
Les enjeux : une livraison à prix réduit par l’action de l’Union Européenne
Les déclarations Bulgare et américaine sont réalisées à la suite d’une autre décision. Joe Biden accepte l’achat groupé de gaz américain par l’Union Européenne. Emmanuel Macron déclare le 25 mars « L’achat groupé, la capacité à définir ensemble des contrats longs, est le meilleur instrument pour faire baisser les prix » Une commande qui se veut dans la suite de la logique vaccinale, où pour réduire la concurrence entre les commandes européennes, fut préféré l’unité et la quantité.
Cependant le chancelier allemand Olaf Scholz a indiqué que ces commandes ne seraient pas contraignantes mais basées sur le volontariat. Ce qui tends à confirmer qu’il n’y aura pas d’embargo strict sur l’énergie russe mais plutôt une période transitoire. Pour permettre de réduire la dépendance à la Russie et trouver des solutions d’urgence. Cas de la Bulgarie dont les premières livraisons américaines sont annoncées à un prix réduit, pour une durée limitée. Le contrat doit donc encore être affiné mais s’effectue sans opposition de l’UE.
Outre la réduction de la concurrence entre pays européen, le volume total de la commande permettra de réduire les coûts de fabrication et de livraison. Un moyen de compenser la différence de prix entre le gaz naturel et sa version liquéfiée par un refroidissement coûteux devant atteindre les -160°. Auquel il faut ajouter son retour à l’état gazeux par des terminaux spécifiques. Plusieurs pays européens possèdent ces infrastructures pour compenser une partie du choc actuel.
Cette adaptation rapide des pays européens pourrait engendrer une crise forte et longue en Russie. Puis qu’après les dangers colossaux engendrés par l’invasion de l’Ukraine, il n’est pas certain qu’en tant de paix, tout les pays européens s’autorisent à rouvrir des commandes énergétiques auprès de la Russie. Vladimir Poutine en contraignant les européens à changer de fournisseur, risque de ruiner la Russie et de menacer sa survie économique sur plusieurs décennies.
A moyen terme, en situation de paix confirmée, les contraintes imposées par la Russie peuvent aussi réduire le coût des énergies dans l’Union Européenne. Même si la première phase alourdit la facture. Les infrastructures mises en place pour diversifier l’approvisionnement vont accroître la concurrence entre les différents fournisseurs. Là où actuellement les prix peuvent être facilement gonflés à l’initiative d’un seul groupe d’acteur. Ce qui fut le cas lorsque la Russie a réduit ses livraisons de gaz en amont de l’invasion en Ukraine. Ce qui est le cas à chaque fois que les membres de l’OPEP jouent avec les marchés. Les prix étant liés à l’état des stocks, sans couper le robinet, il suffisait d’épuiser les réserves des pays acheteurs.
Au moins trois facteurs peuvent empêcher cette opportunité :
L’interconnexion entre les pays européens. Actuellement l’implantation géographique conditionne le choix des fournisseurs. L’enjeu pourrait donc être la construction de gazoducs entre l’ensemble des pays européens. De manière à permettre aux pays du nord, de bénéficier des importations du sud et de même pour l’axe Est-Ouest.
L’instabilité géopolitique : les projets d’importation entre l’Europe et le sud sont menacés par les tensions entre pays fournisseurs et par le terrorisme. Des conflits ouverts ou une persistance du djihadisme peuvent mettre à terre l’ensemble des approvisionnements par le sud.
La crise écologique : Ces adaptations en vue d’une émancipation à la Russie encouragent le développement des énergies renouvelables. Mais la première phase repose aussi sur une transition par la combustion d’énergie fossile. La Grèce pour assurer ses livraisons de gaz continue de brûler du charbon pour sa propre consommation électrique. Sa perspective de fermeture des centrales à charbon pour 2025 est remise en question par la dépendance qu’auront les Balkans vis à vis de la Grèce. Et si les énergies renouvelables sont présentes dans les plans d’autonomie énergétique de l’Union Européenne, il n’est pas certain que le niveau d’ambition retenu corresponde aux attentes des écologistes, ni à l’urgence environnementale.
Bibliographie et sources :