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Jugé en France, Rifaat Al Assad toujours en fuite

Jugé en France, Rifaat Al Assad toujours en fuite

Rifaat-Al-Assad-cassation
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Condamné en France pour 90 millions d’euros de biens mal acquis, sa demande de pourvoi en cassation devait être jugée le 22 juin. La justice française reporte sa décision à septembre. Il est aussi visé par la Suisse pour crime de guerre et par l’Espagne pour blanchiment, extorsion et trafic de drogue. Si son nom vous est familier, c’est parce qu’il est l’oncle de l’actuel président syrien.

Les faits : 9 ans de procédure judiciaire dans 3 pays différents

En 2013 l’association SHERPA dépose plainte contre Rifaat Al Assad. L’instruction met en évidence des ressources syriennes dissimulées en Europe par un réseau de sociétés écrans. Il est mis en examen le 28 juin 2016 pour détournement de fonds publics.

La valeur des biens est estimée à 90 millions d’euros et comprend un haras, un manoir, deux hôtels particuliers et plusieurs bureaux. Le 17 juin 2020 il est condamné à 4 ans de prison pour blanchiment en bande organisée et détournement de fonds publics. Ses propriétés en France sont confisquées. Un an plus tard, la décision de justice est confirmée en appel.

Mais il se pourvoit en cassation et arrive à rejoindre la Syrie pour fuir son incarcération. Bashar Al Assad accepte sa demande d’asile. L’ONG TRIAL International exprime sa déception et pointe du doigt les responsabilités des justices française et suisse qui ont permis la fuite d’une personne en mesure de menacer l’ensemble des témoins.

En Espagne il est accusé d’avoir blanchi 700 millions d’euros :

Le juge espagnol Jose De la Mata annonce en 2019 son intention d’instruire un dossier contre Rifaat Al Assad. Sa décision intervient après l’identification d’un réseau criminel et les commentaires exprimés par Adnan Alhwash, ancien général et militaire syrien qui fut sous les ordres du « boucher de Hama ». Ce dernier résume «Rifaat était à la tête de tout le système de renseignement; en Syrie, c’était un quasi-Dieu».

Des documents juridiques obtenus par le site d’investigation Gotham City rapporte « Quand il quitta la Syrie en 1984, il manigança avec son frère qui était alors président, pour détourner une partie du trésor national, emportant avec lui quelque 300 millions de dollars».

Ce pactole aurait été complété par des activités comme le vol de pièces archéologiques et le trafic de drogue. Les montants sont mis à profit dans l’immobilier européen. Jose De La Mata a découvert 507 propriétés dans la péninsule ibérique, pour un montant total estimé à près de 700 millions d’euros. Comprenant des hôtels, des cafés, des restaurants, et 244 places de parking qu’il gère avec plusieurs membres de sa famille, dont sa femme et ses enfants. Son investigation révèle aussi des propriétés au Royaume-Uni, en Suisse et en France à travers une centaine de société écran.

L’Allemagne clos la procédure par une amende de 7 millions d’euros :

Pour faire transiter l’argent de la famille Assad, Rifaat a bénéficié des services d’une banque cliente de la Deutsche Bank. Le Tribunal de Francfort a lancé une procédure contre l’organisme financier qui s’est soldée le 18 juillet par une amende. « Les paiements incriminés provenaient de crimes commis en Syrie et ont été traités, entre autres, via Deutsche Bank AG en tant que banque correspondante de Jyske Bank à Gibraltar ».

La justice allemande reconnait donc le blanchiment organisé par la famille Assad mais considère la Deutsche Bank non responsable de ces montages financiers. L’amende est motivée par la  « négligence à signaler des soupçons de blanchiment d’argent dans un total de 701 cas », la banque ayant tardé dans la transmission des alertes reçues.

Le contexte : Un ancien Général accusé de crime de guerre

Personnage iconique de la politique intérieure syrienne, Rifaat Al Assad a laissé dans la mémoire de son pays des exactions qui ont marqué 40 ans de tentatives révolutionnaires contre le clan présidentiel.

Une première procédure pour crime de guerre est lancée en Suisse en 2014 mais la société civile dénonce le manque de volonté de la justice helvète. En 2017 l’ONG TRIAL International accuse « un déni de justice caractérisé pour les parties civiles. Parfois, les courriers de leurs avocats ne reçoivent même pas d’accusés de réception ! Ce mépris de leurs souffrances n’est pas acceptable. Or les magistrats du MPC ont rarement eu un tel dossier entre leurs mains. Ils ont une occasion unique de mener une procédure exemplaire et historique, qui peut envoyer un message clair aux bourreaux de tous bords ».

 

La même année l’ONG dépose son enquête à la justice et se constitue partie civile. Le dossier repose sur les témoignages de victimes et de combattants syriens engagés à l’époque, du côté du gouvernement. Ils dénoncent la présence de Rifaat Al Assad dans les réunions du commandement ayant engendré plusieurs massacres.

Le premier en date du 27 juin 1980 s’effectue lorsque les forces gouvernementales se posent en hélicoptère sur le toit d’une prison syrienne. Ils tueront entre 600 et 1000 prisonniers en leur jetant des grenades par les trappes situées sur le plafond. Une vengeance aveugle qui intervient au lendemain d’une tentative d’assassinat sur le président et frère de Rifaat Al Assad. En 1982, Rifaat supervise le massacre de Hama. Ville en insurrection elle sera reprise par les forces gouvernementales après trois semaines de combat. Le vice président syrien déclare à ses troupes « La ville de Hama n’a pas reçu la correction qu’elle mérite. Il lui faut une bonne leçon. ». Ses soldats massacreront alors 20.000 personnes, comprenant le personnel des hôpitaux et usent massivement des viols et pillages.

En 1984 un coup d’État vise à renverser le frère de Rifaat Al Assad. Suite à l’échec de l’opération ce dernier est accusé d’être le commanditaire et fuit le pays pour se réfugier entre Paris et Londres. Une présentation de son exil relativisé par le procès espagnol qui dénonce des tractations entre lui et son frère, dans le but d’assurer un trésor de guerre à la famille Assad. Il est d’ailleurs nommé vice président de la Syrie peu après son exil.

La procédure en Suisse concerne les crimes de guerre et crime contre l’Humanité commis à Hama et Palmyre. Mais le dossier souffre d’une lenteur que l’ONU dénonce en 2018 dans un rapport indiquant l’existence de pression politique contre la justice suisse. Plusieurs articles de presse évoquent des collaborations dans les années 80 entre l’ex général syrien, l’Arabie Saoudite, la France et les Etats-Unis. Elles reposent sur  des participations de Rifaat Al Assad dans la libération d’otages occidentaux et son intervention auprès des dirigeants usant du terrorisme. Ces accords ont été confirmés par Alain Chouet, ancien directeur de la DGSE, dans une interview à France Culture. Mais alors que la France et l’Espagne ont récemment saisi les biens de l’oncle de Bashar Al Assad, la Suisse s’y refuse.

Rifaat Al Assad est par ailleurs fait Grand Croix de la Légion d’Honneur par le président François Mitterrand en 1986, en raison de ses services rendus à la diplomatie française. L’association SHERPA et TRIAL publient une tribune dans Libération le 28 février 2021, demandant à Emmanuel Macron le retrait de la distinction honorifique. L’association renouvelle sa demande à la veille du procès en cassation.

Sources et bibliographie :

– Communiqué de l’association SHERPA à la veille du procès en cassation : https://www.asso-sherpa.org/laffaire-des-biens-mal-acquis-rifaat-al-assad-examinee-par-la-cour-de-cassation

– Article de 2017 de Médiapart résumant les accusations de crime de guerre : https://www.mediapart.fr/journal/international/270917/deux-enquetes-visent-rifaat-al-assad-pour-crimes-de-guerre

– Article de Suisse Info sur la procédure en Espagne : https://www.swissinfo.ch/fre/criminalit%C3%A9-%C3%A9conomique_une-partie-du-tr%C3%A9sor-national-syrien-plac%C3%A9-ill%C3%A9galement-en-suisse-et-en-espagne/45393558

– Collaboration entre la DGSE et Rifaat Al Assad : https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-justice-s-interesse-a-la-fortune-de-l-oncle-de-bachar-el-assad-8231911

– Procédure en Suisse par TRIAL International : https://trialinternational.org/fr/latest-post/affaire-rifaat-al-assad/

– Tribune demandant le retrait de la Légion d’Honneur attribuée à Rifaat Al Assad : https://www.asso-sherpa.org/tribune-pour-le-retrait-immediat-de-la-legion-dhonneur-a-rifaat-al-assad