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Vienā Balsī une chaîne qui met en valeur la culture lettonne :

Vienā Balsī une chaîne qui met en valeur la culture lettonne :

Gilles Deles-Velins
Gilles Deles-Velins
Gilles Deles-Velins
Gilles Deles-Velins
La richesse de la musique contemporaine lettonne a conduit Gilles Deles-Velins à s’installer dans ce pays frontalier de la Russie. Auteur de la chaîne Vienā Balsī et lui même compositeur, il réalise des interviews d’artiste. Il revient pour Pragma sur les particularités de cette culture lettonne peu connue de la France et composée d’histoire, de spiritualité et de géopolitique.

Pragma Média : Quelle est la signification de Viena Balsi ?

Gilles Deles-Velins : Si on veut être rigoureux il faut l’écrire Vienā Balsī . La barre sur une voyelle est un signe diacritique dénommé un macron (cela ne s’invente pas) qui a pour fonction de rallonger la durée de la voyelle lorsqu’elle est prononcée. Dans le cas où cela se situe à la fin d’un mot c’est le plus souvent la marque du locatif en Letton. Cela signifie donc ‘D’une seule voix’. Ce concept répond au sentiment d’unité qui se dégage pour moi dans certaines manifestations culturelles comme le fait de chanter dans une chorale. On se fond dans le groupe, on y existe aussi avec sa particularité mais le tout est plus que la somme des parties et c’est cette texture que ce titre essaye de faire ressortir.

 

Pragma Média : Quelles sont les particularités de la musique lettonne ?

Gilles Deles-Velins : Vaste question à laquelle l’ensemble de ce programme sur YouTube tente de répondre. Je crois que parmi les interviewés mon ami Andris Dzenītis est un de ceux qui y répond le mieux. La question est en débat chez les Lettons eux-mêmes et isoler des traits folkloriques n’est pas une réponse satisfaisante bien que la tradition y ait une place fondamentale. Le but de ce projet est justement de montrer qu’il s’agit d’une musique qui bien que correspondant à une identité et une histoire fortes et spécifiques a une valeur potentiellement universelle. Debussy n’aurait pas pu être Allemand mais sa musique n’est pas « Française » elle est surtout brillante et inspirante. Je crois que c’est la même chose pour les compositeurs Lettons.

Je mentionnais les chorales et elles sont une des pratiques fondamentales qui donnent cours à la musique en tant que pratique vivante. Dès le plus jeune âge, les enfants sont habitués à certaines harmonies car elles correspondent à des chansons particulières figurant dans les standards musicaux traditionnels et ces arrangements deviennent une sorte de seconde nature.

Chanter dans une chorale est, à mon sens, et selon le concept de Marcel Mauss, un fait social total, c’est-à-dire un phénomène qui recouvre tous les aspects de la vie. Lors de certains festivals, la législation prévoit et organise des congés spéciaux pour aller chanter. Des couples se forment dans les chorales, des amitiés aussi, et c’est une occasion de voyager quand le smic est à 400 euros, des membres de la chorale à laquelle on appartient viennent chanter à notre mariage, etc… Mais surtout, ce savoir faire en arrière plan des pratiques musicales crée des conditions très propices pour des compositions exigeantes comme peut en témoigner Peteris Vasks notamment.

Au premier abord, le sentiment que donnent les styles de classique contemporains est la cohabitation d’exigences techniques mais sans « snobisme », sans devoir opérer une distinction par le biais d’une insularité artificielle ce dont la musique classique contemporaine est parfois malade. Ce terreau favorise d’autres styles musicaux. Riga est souvent comparée à Berlin pour sa dynamique culturelle et en Lettonie il y a une scène Jazz très active ainsi qu’une scène underground expérimentale. Le festival Skaņu Mežs a été qualifié par le magazine Anglais The Wire de « plus grand festival d’avant-garde dans la zone Baltique. » C’est une grande fierté d’y avoir joué en tant que musicien.

Pragma Média : Comment qualifierez vous les échanges culturels entre la France et la Lettonie ?

Gilles Deles-Velins : Comme possibles… beaucoup de Lettons interpellent le personnel culturel Français sur l’incohérence de la France en matière de politique étrangère et ceux-ci sont pris à partis concernant la guerre en Ukraine. Pour ma part j’ai des positions publiques limpides sur le sujet.

Pragma Média : La culture revêt-elle un caractère stratégique en Lettonie ?

Gilles Deles-Velins : Spoiler alert : oui ! La difficulté est de répondre de façon exhaustive pour restituer l’ensemble des enjeux et ma réponse n’y suffira pas. La cohabitation entre Russophones et Lettons ethniques (tous étant citoyens) est une question omniprésente, parfois écrasante et la guerre actuelle opérera probablement des changements fondamentaux dans les états d’esprits. Vous aviez écrit un article qui resituait bien le contexte de la destruction des monuments soviétiques. Donc le poids de l’histoire est encore là, et cette histoire est politisée par la Russie bien entendu mais amène parfois aussi certains historiens Lettons à une forme d’auto-censure ou, pour le dire autrement, à une pression sur le fait qu’il y a à présent l’écriture à faire d’une vraie historiographie. Or des sources soviétiques peuvent avoir été factuelles quand bien même leur interprétation était idéologisée. La collaboration active avec les Nazis est un tabou là encore à cause d’une situation complexe : l’accusation de fascisme pouvait prendre corps sur des fait ou des personnages bien réels comme Herbert Cukurs mais elle était généralisée à toute tentative de résistance indépendantiste. On le voit l’accusation de nazisme et sa systématisation ne date pas de la guerre en Ukraine. En revanche, nier la participation de collaborateurs (et pas uniquement parce qu’ils auraient été enrôlés) est absurde.

Si on prend acte du fait que la langue et des habitudes culturelles sont liées, alors oui, la culture est, au présent, un enjeux stratégique. Par exemple, quand la propagande Russe essaye d’expliquer qu’on veut tuer les Russophones en ne traduisant pas les consignes du COVID en Russe alors que toutes les institutions et les acteurs culturels font un effort colossal de traduction. Dans les restaurants la carte est souvent tri-lingue à défaut de quoi le serveur le sera, les films ont des doubles sous-titrage simultanées (Lettons et Russes) etc.

Plus simplement, les Lettons sont un petit peuple quantitativement et c’est un peuple de diaspora. Ils ont compris depuis longtemps que personne ne les aiderait à organiser la conservation de leur culture. Ce qui est parfois perçu comme un nationalisme au sens où nous l’entendons en France est en fait une valeur plus qu’existentielle. C’est une survie qui s’est prolongée dans des vertus d’auto-détermination. L’envers négatif de cette centration sur des enjeux d’identité culturelle fait écran de manière très paradoxale à l’enjeu de partage et de diffusion de cette culture ailleurs et devient une forme d’obstacle à l’objectif de départ. Beaucoup de Lettons ne comprennent pas a priori (et aussi à cause d’une méfiance dans les rapports inter-humains, héritée de l’URSS) pourquoi on s’intéresserait à leur culture. C’est là que mon projet prend sens.

Pragma Média : Dans le premier entretien publié sur la chaîne, vous abordez la question du mysticisme et du surnaturel chez certains compositeurs lettons. Est-ce une marque culturelle ?

Gilles Deles-Velins : En effet, cette dimension revient souvent je pense et elle demande d’être analysée précisément. Dans le cas de quelqu’un comme Andrejs Selisckis le surnaturel a une place mais ce qui est mystique ne signifie pas, pour le dire vite, qu’on aspire à un mysticisme qui est assimilable à du paranormal. Par mystique, j’entends dans mes questions le fait d’aspirer à avoir une relation sans médiation avec l’être des choses. On peut appeler ça Dieu ou si l’on est Spinoziste la Nature. Il y a en effet, en Baltique, une relation avec la nature et la sagesse traditionnelle des contes (Dainas), le paganisme est une forme résiduelle de polythéisme animiste qui fait que être écologiste tombe sous le sens en Lettonie, sans devoir particulièrement en faire une sorte d’idéologie politique. La saisonnalité est différente, les rythmes naturels également.

Ensuite, la dimension spirituelle est fondamentale pour des compositeurs comme Arvo Pärt (Estonien et un des plus fameux compositeurs en Baltique) ou Vasks et elle crée un terrain d’incompréhension profonde un abîme en comparaison des surenchères de l’avant-garde particulièrement en France. Je crains que l’on n’ait complètement perdu de vue la perspective qui amenait Bach ou plus récemment Bruckner à écrire de la musique : leur relation à Dieu, le fait d’amener vers la foi. Ne pas comprendre l’importance de la foi chez Vasks, Pärt ou Soljenitsyne comme éléments d’espérance et voir en quoi leurs œuvres essayent d’y répondre, c’est ne pas savoir opérer de décentrement anthropologique.

Je ne dis pas qu’il faudrait être croyant pour comprendre leur musique, ni qu’une écoute athée ou agnostique serait impossible, mais la spiritualité est une clef de voûte de leur travail parce qu’elle fait partie de la forme de vie qui a motivé cette créativité. C’est dans cette subtile compréhension qu’on peut faire la différence entre l’imprégnation mystique d’un Balte et le stéréotype du pathos des œuvres de Max Richter qui dégoulinent de miel jusqu’au dégoût. Les premiers ont une authenticité et c’est à ce titre là qu’on peut les découvrir sincèrement.

J’estime que mon travail doit consister à rendre plus accessibles ce monde et ces catégories.

Pragma Média : Quel conseil donneriez vous à une personne souhaitant découvrir la culture et la musique lettonne

Gilles Deles-Velins : Bien entendue regarder Viena Balsi sur Youtube et/ou écouter le podcast. Nous faisons un grand travail de traduction et de sous-titrage à cet effet pour que les français puissent en profiter. En juin prochain se tiendra le festival de la danse et de la musique, qui est une opportunité pour être au contact du versant populaire de cette culture. La vie culturelle de Riga est riche si on veut se donner la peine d’aller à des concerts qu’ils soient de rock,de jazz ou de classique. Dans ce dernier cas le blocage serait plutôt du côté de certains habitus qui réservent le classique à une élite intellectuelle là où en Lettonie il est fondamentalement populaire.

Vous pouvez découvrir les contenus de la chaîne Viena Balsi à cette adresse : https://www.youtube.com/@vienabalsi
Et consulter les podcast de l’émission ici : https://rss.com/podcasts/vienabalsi/
Merci à Gilles Deles-Velins pour le temps accordé à notre rédaction.

Sources et bibliographie :

– Article de Céline Bayou et Eric le Bourhis « A quelles victimes est dédié le camp de Salaspils ? La Lettonie entre constructions identitaires et mémoires faussées » dans Après un régime d’oppression : entre amnésie et catharsis dir Yves Hamant. Presses universitaires de Paris Ouest : https://www.amazon.fr/Apr%C3%A8s-r%C3%A9gime-doppression-amn%C3%A9sie-catharsis/dp/284016101X/

– The « Final Solution » in Riga : Exploitation and Annihilation, 1941-1944 : https://www.amazon.fr/Final-Solution-Riga-Exploitation-Annihilation