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Après Reflets, la censure s’attaque à Médiapart

Après Reflets, la censure s’attaque à Médiapart

censure mediapart
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C’est l’alerte dans les rédactions suite à une décision de censure préalable et unilatérale du Tribunal judiciaire de Paris. Il est interdit à Médiapart de diffuser les extraits d’une conversation qui appuierait de nouvelles accusations de chantage au sein de la mairie de Saint-Étienne. Après Gilles Artigues, la victime était cette fois ci Laurent Wauquiez.

Les faits : Une fin d’année difficile pour les libertés de la presse

Ce n’est pas la première fois qu’un organe de presse fait l’objet d’une censure préalable à la diffusion d’une publication. Le 6 octobre le Tribunal de commerce de Nanterre statue sur le retrait de plusieurs articles du site Reflets.info concernant la société Altice. Les publications se basaient sur des données mises en ligne par des hackers et analysées par les journalistes.

Le Tribunal déclare les articles publiés conformes au droit français mais à la surprise générale, interdit au média toute future publication concernant Altice. La rédaction dénonce une décision de justice « sans précision de temps et de champ d’application. » Altice obtient donc la censure d’un site de presse en ligne par le recours au droit commercial. Le tribunal ayant indiqué que de nouveaux articles constitueraient une menace pour la société de télécommunication. Précisant que la nature frauduleuse des documents sources pourraient constituer une violation du secret des affaires. Pour Reflets la décision pose problème : « Gageons qu’il ne s’agit pas d’une interdiction totale, sur tous les sujets et que cela se cantonne aux informations contenues dans les documents publiés par le groupe Hive. Mais rien n’est moins sûr. Et si nous trouvions une autre source ? »

Le Syndicat de la Presse d’Information en Ligne (SPIIL) déplore « une dangereuse atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’informer par le recours au droit commercial. » Et précise « le législateur doit veiller à ce que le droit commercial ne puisse pas être utilisé pour censurer des journalistes.» Reflets a fait appel de la décision, qui sera rejugée au Tribunal de commerce de Nanterre le 15 décembre.

Pour Médiapart, une décision de justice sans débat contradictoire :

Le jugement prononcé contre Médiapart franchit un nouveau cap. Le 18 novembre, le magistrat Stéphane Noël déclare l’interdiction pour le média de publier ou de retranscrire les extraits d’une conversation tenue au sein des locaux municipaux de la ville de Saint-Etienne. Sans quoi chaque extrait occasionnera une amende de 10.000€.

Dans un communiqué Médiapart rappelle que la rédaction n’est pas au dessus des lois et participe à chaque convocation judiciaire. Ce qu’elle dénonce, c’est de ne pas avoir été « informée de cette procédure […] l’ordonnance a été prise par un juge sans que notre journal n’ait pu défendre son travail et ses droits. »

On se demande comment le juge Stéphane Noël peut rajouter de l’huile sur le feu. Ignorant par la même les déboires de l’effet Streisand. Puisque loin d’enterrer l’affaire, cette décision de justice ouvre des interrogations sur l’indépendance de la Justice. Edwy Plenel, Président de Médiapart détail la situation posée par l’ordonnance : « Une décision prise sans audience publique ni débat contradictoire, dans le secret d’un échange entre seulement deux personnes : l’avocat du demandeur et le président du tribunal. »

L’un des principes fondamentaux de la justice repose pourtant sur la capacité de chaque parti de se défendre. Médiapart annonce le lancement de procédures pour contrer cette décision hors norme.

Le contexte : Une affaire qui expose les pratiques maffieuses de la sphère politique

L’enquête initiale de Médiapart fut une bombe politique pour la commune de Saint-Étienne. On y découvre une mairie dans laquelle des élus se combattent à coup de krompromat. Ces chantages basés sur la menace de révélation ayant trait à la vie privée et aux pratiques sexuelles.

Comme souvent Médiapart utilise le feuilletonnage pour diffuser ses informations. Une pratique qui consiste à espacer les révélations dans le temps. Cela a plusieurs intérêts : augmenter l’audience dans la durée, mais aussi permettre aux lecteurs de mieux comprendre la situation tout en limitant le pouvoir d’influence des communications de crise.

La chose n’a pas loupé. Après la publication d’un article dénonçant le chantage à la sextape contre l’adjoint au maire Gilles Artigues, le maire de Saint-Etienne a démenti les accusations. Déclarant n’avoir jamais été au courant d’une telle pratique au sein de ses services. Manque de pot, une conversation datant de 2018 fut enregistrée et diffusée peu après par Médiapart. On y entend Gaël Perdriau parler de la fameuse vidéo et proposant une diffusion « en petit cercle, avec parcimonie ». Ce feuilletonnage, sans se substituer au travail de la justice, a démontré la malhonnêteté du maire. Chose qui n’aurait pas été possible sans la publication des extraits sonores.

Médiapart a poursuivi son enquête. Un futur article devait révéler de quelle manière Laurent Wauquiez, président du Conseil régional d’Auvergne Rhône Alpes et Président des Républicain, aurait lui aussi été victime de chantage. C’est cet article et les extraits de conversation en lien, qui sont interdits de publication par le magistrat Stéphane Noël. Au delà de l’atteinte aux droits de la presse, il s’agit aussi d’une atteinte aux droits des électeurs d’être informés, sur les pratiques politiques de leurs élus.

Les répercussions de ces enquêtes ont frappé d’autres localités et personnalités. Le fond du chantage reposait sur les pratiques homosexuels de l’adjoint à la mairie, qui par ailleurs est catholique de confession et soutenu par l’évêque d’Albi. Ce dernier après la démission de Gilles Artigues du conseil municipal, le nomme directeur diocésain de l’enseignement catholique du Tarn.

L’extrême droite s’empresse alors de jeter l’opprobre sur toutes les activités et soutiens de l’ex élu : au seul motif qu’il serait homosexuel. Certains militants n’hésitant pas à se déclarer « salis » par sa présence. C’est par cette pression homophobe que Gaël Perdriau aurait voulu, pendant 8 ans, maîtriser son adjoint et limiter ses ambitions politiques.

Médiapart regrette de n’avoir pu défendre son travail. En effet pour appuyer sa décision, le juge déclare que les extraits interdits de diffusion constituent une atteinte à la vie privé du maire Gaël Perdriau. Ce à quoi Edwy Plenel aurait aimé pouvoir argumenter, que la conversation enregistrée a eu lieu au sein de la mairie de Saint-Etienne, entre des élus et qu’un certain nombre de textes de lois garantissent le droit pour des journalistes, d’enquêter et de fournir des éléments au public : notamment au regard de l’intérêt général et de l’état de nécessité. Pour l’avocat de Médiapart, à minima la décision de justice devrait limiter l’interdiction de diffusion dans le temps. Autre point de contestation juridique, le magistrat parisien cite le caractère illicite de l’enregistrement : hors aucun tribunal n’a statué sur cet élément.

Une nouvelle décision de justice est attendue vendredi 25 novembre au Tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur la légalité de l’ordonnance émise contre Médiapart. Une annonce effectuée lors de la conférence de presse organisée par la rédaction le 22 novembre.

Plus d’une quarantaine de médias et d’associations de journalistes apportent leur soutien à Médiapart. Pragma Média s’y associe.