La propagande de Vladimir Poutine surprend mais n’est pas nouvelle. Déjà en 1999 lors de la seconde guerre de Tchétchénie, celui qui était alors Directeur du Service Fédéral de Sécurité russe, déployait un argumentaire de libération qui déboucha sur le massacre de la population tchétchène. Quelle était la position de l’Europe et quelles actions de la Russie permit-elle ?
Avertissement : Bien que des parallèles soient dressés pour encourager les réflexions et les échanges, les situations de la Tchétchénie et de l’Ukraine ne sont pas exactement les mêmes. Plusieurs éléments diffèrent tels que l’existence de mouvements tchétchènes souhaitant fédérer les régions russes musulmanes ou l’instauration de la charia en 1999. Néanmoins la seconde guerre de Tchétchénie est un indicateur de la stratégie oratoire de Poutine, des réactions européennes et des pertes civiles.
Les faits : De 1999 à 2009, du génocide à la terreur
A la fin de la première guerre de Tchétchénie les autorités signent un accord avec la Fédération de Russie entérinant la paix sans indiquer la relation qui liera les deux pays. Le souhait de la Russie est alors d’intégrer la petite République dans les territoires fédéraux.
En janvier 1997 les choses ne se passent pas comme prévues. Un président indépendantiste est élu : Aslan Maskhadov.
Le pays ravagé par la précédente guerre se transforme rapidement en haut lieu de la criminalité. Les chefs de guerre échappent au contrôle de Maskhadov et font régner la terreur. Il décrète alors la charia pour tenter d’intimider les criminels par des exécutions. Cependant il milite activement contre la propagation du wahhabisme, ce qui fera de lui la cible de plusieurs attentats.
En 1999 plusieurs attentats ont aussi lieu en Russie. Le FSB accuse les séparatistes tchétchènes. Vladimir Poutine rassemble alors 140.000 soldats. Le président tchétchène est accusé d’islamisme radical, alors même qu’il est la cible de ce dernier et qu’il condamne les attaques des séparatistes contre les provinces voisines. Poutine déclare malgré tout le président Maskhadov illégitime et envahi la Tchétchénie.
Les russes connaîtront avant l’heure, la situation que subiront les américains en Irak : l’impossibilité de maîtriser un territoire comprenant d’importantes zones urbaines et où la population refuse les troupes d’occupation.
Le siège de la capital durera plus d’un mois. Les Russes comme pour l’Ukraine mirent en place un corridor pour permettre aux civils d’évacuer. Mais ces derniers pour diverses raisons allant de l’impossibilité de vivre ailleurs, au soutien à l’indépendance, restent dans les villes. Certains participeront à la défense. Si bien que pour prendre Grozny, La Russie la détruit, avec sa population. En 2003 les Nations Unies estiment que la ville est celle qui a subi le plus de destruction au monde.
Déjà à cette époque, la population résistant à l’invasion est diabolisée par Poutine. Pour justifier son action militaire devant le peuple russe, il parlait d’action « antiterroriste », comme il parle aujourd’hui « d’Opération spéciale contre les nazis ».
En 2007 Vladimir Poutine soutien l’un de ses fidèles partisans et membre de Russie Unie, pour monter à la tête d’une Tchétchénie dévastée : Ramzan Kadyrov. Ce dernier prolonge dans le pays une politique de terreur visant à garder la région dans les propriétés de l’oligarchie russe et envoie ses combattants soutenir chaque action militaire de la Russie, du Moyen-Orient jusqu’en Ukraine.
Mais tout l’effort de diabolisation des victimes et le travail de terreur n’ont pas empêché de révéler aux yeux du monde une invasion qui a occasionné ce qui est parfois qualifié de génocide. Après de longues années d’enquête, non sans risque, à chercher les fosses communes constituées par les troupes russes, on estime entre 150.000 et 300.000 le nombre de tchétchènes morts dans l’invasion. Entre 20 et 40% de la population d’époque. S’ajoute de nombreux réfugiés.
Le contexte : L’Europe demandait la paix, sans actions militaires
Si l’on entend aujourd’hui des discours affirmant que l’appel à la paix est la seule solution pour la préserver, il est alors utile d’inspecter les résultats obtenus lorsque cette stratégie fut appliquée. L’Union Européenne devant l’invasion russe en Tchétchénie, défendait l’idée d’un cessé le feu sans envoi ni de troupes, ni de matériels.
En 2000, la délégation du Conseil de l’Europe en déplacement dans le Caucase se contente de déclarer « être profondément bouleversée par la détresse et le traumatisme de la population civile dus à l’usage d’une force aveugle et disproportionnée de la part de l’armée russe », avant de demander un cessé le feu et des négociations.
L’élimination d’une grande partie de la population ne fut pas la seule conséquence de la passivité européenne. Confortés dans son impunité, Vladimir Poutine et son parti Russie Unie ont mis en place une campagne d’invasion alternant périodes d’agression et d’accalmie. Avec une forte stratégie d’influence entre deux attaques, afin de fracturer l’opinion publique de l’Union Européenne et tenter de lui faire oublier la continuité de l’expansionnisme russe :
– 1999 : invasion de la Tchétchénie.
– 2008 : invasion de la Géorgie.
– 2014 : annexion de la Crimée.
– De 2014 à 2022 : renforcement des paramilitaires dans le Dombass.
– 2022 : invasion de l’Ukraine.
Cette escalade est une conséquence du positionnement qui considère que la paix se préserve sans réagir militairement à l’agresseur.
Il est assez étonnant de constater que la région d’Ossétie convoitée par Vladimir Poutine, ainsi que la Crimée et le Dombass, offrent à la Russie l’exclusivité de l’accès nord-est à la Mer Noire. Un heureux hasard ayant comme effet un renforcement stratégique opportun. Si opportun qu’en février 2022 la Russie a pu couler la flotte Ukrainienne avant le siège des villes. Des séparatismes pro Russie, accompagnés de paramilitaires, armés par la Russie et dessinant des cartes stratégiques, n’a rien de commun avec la volonté des peuples à disposer d’eux même. Cette succession d’invasions souligne que loin d’amener la paix, les cessés-le-feu de la Russie tout comme ses traités de paix, entérinent des conquêtes de territoire. Et loin d’arrêter les pertes humaines, ces injustices consacrées prolongent les politiques de terreur. L’Ukraine n’aurait pas pu être si facilement envahie si Poutine n’avait pas pu s’attribuer une partie de son ambition en Mer Noire par l’annexion de la Crimée.
En cas d’annexion de l’Ukraine, la Russie bénéficiera d’un front au sud et à l’est de la Pologne. De quoi comprendre l’inquiétude de nos partenaires européens.
Si la participation aux côtés du pays envahi engendre effectivement une prolongation d’un conflit et des morts, l’absence de participation elle engendre la multiplication des conflits par l’élément expansionniste. Dilatant certes le nombre de mort dans le temps, mais les engendrant continuellement.
Les enjeux : Comprendre Poutine pour ne plus lui offrir notre peur
Vladimir Poutine exploite plusieurs phénomènes psychologiques pour mener des invasions isolant ses proies et réduisant la résistance. L’un d’eux est appelé l’effet témoin, ou effet Kitty Genovese.
Théorisé dans les années 1968 autour de l’assassinat d’une femme américaine devant la foule, ce concept établi qu’une situation d’urgence obtient des réactions différentes selon le nombre de témoins. Une personne seule aurait plus de chance d’intervenir pour aider une victime, tandis qu’une situation comprenant de nombreux témoins déresponsabiliserait et diminuerait les interventions. Chacun se justifiant par le fait qu’un autre sera plus compétent, plus légitime ou plus efficace que soit.
Lors de la guerre en Tchétchénie les partisans d’une intervention contre les massacres perpétrés par la Russie résumaient ainsi la situation de la communauté internationale : « la capacité d’indignation inversement proportionnelle à la puissance de l’agresseur ». D’autres phénomènes beaucoup plus terre à terre sont exploités par Vladimir Poutine. Comme l’effet de sidération provoqué par ses discours de terreur. C’est le cas des menaces de représailles nucléaires en cas de soutien total à l’Ukraine. La peur n’évite pas le danger avec Poutine, au contraire, elle le renforce.
La boite à outil de Poutine comprend d’autres subterfuges. la désinformation qui fait passer l’ensemble des ukrainiens partisans d’une unité territoriale, pour des nazis, alors que le parti correspondant n’a même pas atteint les 5 % aux dernières élections. Triste répétition de la situation Tchétchène où un problème intérieur réel et une violence de la part d’une section extrémiste, sont déformés et manipulés pour s’en prendre à la souveraineté d’un pays et à son peuple.
On note aussi l’usage du confusionnisme à travers des exposés de sophistique visant à mettre des fautes de l’OTAN et de pays occidentaux dans la balance du soutien à l’Ukraine, comme si cette dernière avait participé à l’invasion de l’Irak et de la Libye, comme si elle en était tributaire.
La sophistique permet aussi de fracturer les opinions publiques sur de faux semblants. Déjà en Tchéchénie, Vladimir Poutine répondait aux indignations occidentales en leur demandant de ne pas pratiquer « une double posture morale ». Il prétendait avoir la même pratique que ses détracteurs : chasser des pouvoirs illégitimes et fondamentalistes. C’est un faux semblant, car aussi contestables puissent être certaines interventions occidentales, elles ne se concluent pas par l’annexion manu militari du pays censé être aidé.
Toutes ces méthodes se rejoignent et constituent la stratégie de Vladimir Poutine pour annexer des territoires et ce depuis aussi longtemps que son influence se fait sentir à Moscou. Confondre des extrémistes qui effectivement existent, avec la population récalcitrante aux projets Russes, désinformer, menacer, terroriser et isoler ses proies jusqu’à annexer leur territoire. Aussi conviendrait-il de se poser la question : est-ce bien notre peur, notre « non alignement » et notre attentisme que nous voulons encore donner en réponse à une stratégie qui n’a jamais cessée depuis 1999 ?
Sources :
– L’Occident face à la crise tchétchène : un rendez vous manqué ? par Nadège Ragaru, janvier 1996 : https://www.persee.fr/doc/cemot_0764-9878_1996_num_21_1_1327
– Analyse américaine des leçons russes sur la guerre en Tchétchénie, par l’Ecole de Guerre Économique, avril 2015 : https://www.ege.fr/infoguerre/2015/04/dossier-analyse-americaine-des-lecons-russes-sur-la-guerre-en-tchetchenie
– La Russie et le conseil de l’Europe : dix ans pour rien ? Jean Pierre Massias pour l’IFRI, janvier 2007 : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_CE_massias_francais_janv2007.pdf