« Notre agence de gestion de crise nettoie et protège votre réputation sur Internet ». Pour la seconde partie de notre dossier sur les pressions exercées contre la Presse, Pragma s’intéresse aux agences de communication spécialisées en e-reputation. Ces activités s’opposent aux libertés de l’information. Mais répondent aussi à des actes de malveillances bien réels.
Les faits : Des services de communication avec des argumentaires surprenant
Avec plus de 700 clients, LaFrenchCom est une entreprise en vogue dans le domaine de l’e-reputation. Elle fait partie d’un réseau regroupant des structures qui altèrent les référencements sur internet. Son nom : Crisis Communications Network Europe, présente dans 13 pays européens. Un secteur perçu comme une menace par des consommateurs et médias, mais comme un bouclier face aux campagnes calomnieuses.
Si la citation utilisée en introduction vous alerte, attendez vous à d’autres surprises. Le premier argument de vente exposé par le site officiel de LaFrenchCom concerne la fraude fiscale. Noir sur blanc, l’entreprise défend : « A l’heure où le fisc français vient d’annoncer qu’il se dote d’un logiciel à 20 millions d’euros pour traquer les fraudeurs sur les réseaux sociaux, le nettoyage de sa réputation sur internet et le nettoyage de ses données sur Google n’a jamais été aussi important ». Ce logiciel nous en parlions dans un précédant article, il s’agit du fichier Galaxie. La FrenchChom semble donc inciter les fraudeurs à dissimuler les preuves permettant au services fiscaux d’établir la valeur d’un patrimoine.
Ce n’est bien sur pas la seule situation pour laquelle l’entreprise met à disposition son expertise. Certains argumentaires s’entendent, telle que la lutte contre les désinformations commerciales, la lutte contre l’usurpation d’identité ou la protection de la vie privée des particuliers. Mais l’essentiel de la clientèle reste les entreprises et l’activité concerne la « mauvaise réputation » dans son ensemble.
C’est là que le bas blesse. Les services mis à disposition proposent de prendre le dessus sur les algorithmes et le référencement par Google « En comprenant comment les moteurs de recherche fonctionnent, LaFrenchCom est en mesure d’influer sur ce qui figure sur la première page de résultats de Google. Les contenus positifs peuvent obtenir plus de visibilité et les contenus négatifs peuvent redescendre dans l’ordre de classement des résultats» Une ambition qui vient directement s’opposer aux tentatives de référencement par la presse, de leurs enquêtes et articles concernant les fautes d’hommes politiques, de partis et d’entreprises. A défaut de pouvoir interdire le travail d’enquête, LaFrenchCom propose d’invisibiliser les investigations.
Le contexte : Le nerf de la guerre sur Internet, c’est le référencement
Dès lors qu’un contenu est jugé diffamatoire, il ne peut y avoir d’opposition aux services qui visent à faire appliquer la décision de justice. L’élément problématique est plutôt l’invisibilisation des contenus journalistiques qui ont touché juste. De ce fait, si des médias parlent parfois de LaFrenchCom comme d’un « effaceur de réputation », il conviendrait plutôt de parler de diversion ou de lutte contre le droit à l’information. La démarche étant légale et ne repose pas sur la censure.
L’agence de communication préfère inciter à inonder Internet. Rappelant : « Un flux constant de contenus intéressants et pertinents peut neutraliser les contenus négatifs (…) Au fur et à mesure que les contenus positifs progressent dans le référencement, les contenus négatifs sont relégués aux pages suivantes, où personne ne les voit. » Il peut s’agir de republier plusieurs fois les mêmes fiches sur des blogs et sites différents ou de les republier par de nouveaux comptes. Cette optimisation du référencement participe à la pauvreté apparente du net et nuit à la qualité de Google et des moteurs de recherche.
Un autre levier réside dans l’utilisation des moyens de son entreprise ou sa notoriété pour créer des contre feux dans la presse : « Quand tout le monde dit la même chose, les réseaux sociaux amplifient le phénomène et cela donne plus de crédibilité. » De leur côté, les médias n’ont pas forcement la capacité de diffuser leurs enquêtes exclusives auprès de leurs homologues. Les médias étant en concurrence les uns avec les autres, les entreprises et personnalité visées par une enquête ont donc une capacité supérieure pour diffuser leur communication et prendre le dessus sur une information qui les dérange.
Les notations artificielles du service fourni :
« Si vous voulez que le client rédige immédiatement un avis positif, vous pouvez utiliser une tablette présente sur le lieu de vente pour l’y encourager. En cas de commentaire négatif, votre équipe de gestion clients peut se charger de la situation. » L’opération cette fois ci ne cible pas les médias, mais les consommateurs. De manière à altérer les notations sur la qualité du service en encourageant les commentaires positifs et en cherchant la suppression des commentaires négatifs. LaFrenchCom propose des synthèses des commentaires ciblant ses clients, de manière à faciliter les contre-feux.
D’autres techniques semblent reposer sur la création de faux profils : « nous allons créer des blogs, articles, vidéos, images et profils sur les réseaux sociaux », argumente l’entreprise de gestion de crise.
L’exploitation des limites techniques du web :
Invisibiliser une enquête doit coûter un investissement colossal ? Pas forcément, tout se joue sur quelques places au classement des résultats sur un moteur de recherche. La FrenchCom cite des études indiquant que seulement 1 % des utilisateurs se rendent sur la seconde page de recherche. Il suffit donc de faire passer moins d’une dizaine de liens avant l’article de presse et ses rebonds. Un jeu d’enfant pour une entreprise qui maîtrise le référencement et dotée d’un budget publicitaire.
Cette approche, différente des procédures judiciaires en diffamation, a un atout majeur : elle esquive l’effet Streisand. Ce phénomène consiste en la surexposition d’une mauvaise presse lorsque l’on tente d’en empêcher la divulgation. C’est notamment le cas lorsque Vincent Bolloré en tentant de censurer des journalistes, voit ses affaires exposées dans l’ensemble des médias. L’invisibilisation des informations négatives devient une parade plus efficace qu’un dépôt de plainte en diffamation.
Les enjeux : Des méthodes brutales pour les libertés d’informer, mais légales
LaFrenchCom souligne que la suppression pure et simple de contenu ne peut intervenir qu’en cas de non respect de la loi (diffamation, fausse information, droit à l’oubli). Il ne s’agit donc pas d’une censure : « Effacer des contenus sans l’accord du site de l’hébergeur est du piratage informatique, et c’est illégal. »
Il convient aussi de souligner qu’une grande partie de ces activités répond à des besoins importants. Notamment du fait de la malveillance qui peut pousser les rivalités politiques et commerciales à entacher de manière illégitime, la réputation d’un adversaire. Le kompromat dans l’affaire Griveaux est l’un de ces cas. Les campagnes calomnieuses, en sont un autre. En novembre, la publication de fausse information sur la gratuité de l’insuline, a par exemple fait perdre 16 milliards de dollar à la société Eli Lilly. On comprend alors que certains propos de consommateurs, de trolls ou des légèretés journalistiques, peuvent constituer des atteintes au droit commercial.
Par ailleurs LaFrenchCom s’est dotée d’un règlement pour éviter d’encourager l’impunité. Citant une liste de situation où elle refuse la mise à disposition de ses services : « procédure judiciaire en cours, inculpations pour violences ou délits sexuels, délits impliquant des enfants. ». Cette déontologie n’est pas toujours la norme dans le secteur. Mais la référence à la lutte contre le fichier Galaxie dans l’argumentaire de vente de LaFrenchCom, qui s’oppose à la lutte contre la fraude fiscale, entache cette charte de l’entreprise.
Certains rapports de force nécessitent aussi une gestion de l’e-réputation. C’est notamment le cas lorsque des stratégies internationales utilisent des jurys populaires des tribunaux anglo-saxons pour augmenter le taux et le niveau de condamnation d’une personnalité ou d’une structure. Puisque ces jurys voient leur vote influencé par l’information disponible sur internet, sans avoir le recul méthodologique du personnel de la justice, les campagnes de diffamation deviennent redoutables.
Le site La Vie Des Idées propose une synthèse de ces mécanismes qui mêlent qualité de l’information, justice et réputation : https://laviedesidees.fr/La-diffamation-mondialisee.html.
Bien qu’il existe des cas de figure où les services d’e-réputation apportent des atouts collectifs, la question des droits de la presse et de l’accès libre à l’information, se pose.
Est-on bénéficiaire de son droit à l’information lorsqu’il est possible de faire passer dans les moteurs de recherche, la communication commerciale et politique, avant l’information indépendante ? Jusqu’au point de se vanter de rendre des contenus invisibles aux yeux de 99 % des internautes.
Sources et bibliographie :
– Le droit de citation a été utilisé pour traiter l’argumentaire de vente de LaFrenchCom : https://www.lafrenchcom.fr/nettoyage-ereputation/
– CCNE : https://ccn-europe.com/
– Un tweet à 16 milliards de dollars : https://www.ouest-france.fr/high-tech/twitter/le-tweet-d-un-imposteur-penalise-le-cours-de-bourse-du-groupe-pharmaceutique-eli-lilly-eef792a2-629c-11ed-971d-47f33cb6a90b
– Kompromat et l’affaire de la sextape de Benjamin Griveaux : https://www.slate.fr/story/187869/affaire-griveaux-piotr-pavlenski-culture-russe-kompromat-chantage-sextape
– Article de La Vie Des Idées sur les relations entre la réputation, la justice et la qualité de l’information : https://laviedesidees.fr/La-diffamation-mondialisee.html