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Le Parlement a fermé les yeux sur les conséquences économiques de l’IA

Le Parlement a fermé les yeux sur les conséquences économiques de l’IA

parlement ia conséquence économique
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En 2016 après une vague d’alertes et de critiques de la société civile française face au développement de l’Intelligence Artificielle dans l’industrie et la médecine, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont conduit plusieurs missions autour de la question. Malgré des débats riches en éléments contradictoires et d’importants panels d’intervenants, le gouvernement Hollande et le Sénat ont décidé d’orienter la conclusion de leurs rapports en falsifiant les enjeux économiques. Un comportement étonnant puisque le Sénat en 2020, lorsque la même problématique inquiète le secteur des services, préconise cette fois l’encadrement de la robotique par la loi.

Les faits : Des commissions parlementaires partagées entre l’optimisme et les inquiétudes 

« L’approche française est celle de l’appréhension. 65% des Français se disent inquiets », affirme Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat chargée du numérique et de l’innovation sous François Hollande.

C’est dans ce contexte qu’en 2017 le Parlement français réalise une série de commissions où se croisent industriels, chercheurs, Facebook, Google, des associations et… des chirurgiens ! Le 19 janvier, lors d’une audition ouverte au Sénat concernant l’Intelligence Artificielle, Laurent Alexandre, entrepreneur et chirurgien alerte « Ceux qui n’auront pas d’emplois complémentaires de l’Intelligence artificielle n’auront pas de travail ! l’Intelligence artificielle aura dépassé les meilleurs radiologues avant 2050 ».

Mais le ton est très différent quand vient le tour de parole des GAFAM. Pour Delphine Reyre, directrice Europe des affaires publiques de Facebook, ces innovations créent déjà des emplois. Pour appuyer son propos elle cite les partenariats de recherche signés avec des instituts français et l’ouverture de laboratoire du groupe, en France.

Plusieurs intervenants vont alors s’opposer aux discours de Facebook en indiquant que la création de postes en Europe et les partenariats signés reposent davantage sur une ambition de capter les brevets de recherche produits sur le vieux continent, que sur une croissance réelle de l’emploi.

Pour Jean Gabriel Ganascia, professeur à l’université Pierre et Marie Curie Paris VI, : « Nous avons parlé du travail et des risques que la robotisation faisait courir à certains métiers, mais il est possible de compenser les pertes d’emplois par de nouveaux métiers. »

Olivier Esper, responsable des affaires publiques de Google France apporte un avis plus nuancé sur l’IA : « l’impact économique de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire sa traduction concrète sur les emplois présents et futurs, conduit à réfléchir aux métiers de demain et à ajuster l’éducation en conséquence. Dans ce domaine, les études sont loin de converger vers les mêmes chiffres. ».

M. Fabien Moutarde, professeur au centre de robotique de Mines ParisTech se positionne alors en arbitre, défendant « L’absence d’automatisation aboutira malgré tout à la perte des emplois que l’on souhaite protéger (ndlr : par la vampirisation des parts de marché). Des complémentarités saines peuvent être trouvées entre la robotique et l’humain, pour confier aux hommes les tâches ayant davantage de valeur ajoutée. On peut aussi aller vers un revenu citoyen et conduire à des relocalisations. » Si il parle de revenus citoyens, c’est par crainte qu’il ne soit plus possible de revenir au plein emploi.

Plutôt bien équilibrées en terme d’opinion, ces consultations publiques auraient du aboutir sur une expertise lucide. Plusieurs intervenants ont admis le manque de fiabilité des études prospective sur l’emploi face à l’intelligence artificielle, d’autres ont conseillé d’accompagner socialement ces évolutions. Le cocktail permettait de rassembler les différents partis sans refuser la modernisation, à condition de poursuivre l’analyse. Au lieu d’initier une nouvelle méthodologie pour obtenir une photographie des conséquences économiques, Sénat et gouvernement français ont enterré les objections en abusant de la caricature.

Axelle Lemaire estime alors que la question de la destruction des emplois « n’est pas la bonne manière d’aborder le sujet », et pense que les emplois vont « se transformer » et non être « détruits » par l’IA.

Le contexte : Le Sénat résume les oppositions à l’influence de la science fiction

Le 15 mars 2017 le Sénat publie son rapport rédigé par la sénatrice PS Dominique Gillot et intitulé Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée. Le préambule indique par quelle orientation la sénatrice a mené son travail : « L’irruption de l’intelligence artificielle au cœur du débat public remonte à un peu plus de deux ans, après la diffusion d’une lettre d’avertissement sur ses dangers potentiels, publiée en janvier 2015, signée par 700 chercheurs et entrepreneurs, lancée pour alerter l’opinion publique et insister sur l’urgence de définir des règles éthiques. Il est frappant de constater qu’aucun argument sérieux ne venait étayer cette première mise en garde quant au risque présumé de dérive malveillante. » mais elle relativise plus loin : « Cette période polarise donc les opinions, qui peuvent être des angoisses excessives mais aussi des espoirs démesurés : les cycles d’espoirs et de déceptions qui jalonnent l’histoire de cette technologie invitent à ne pas trop s’enthousiasmer et à faire preuve d’attentes réalistes. » Malheureusement le rapport se concentrera ensuite sur des risques fantaisistes liés à une super intelligence prenant le contrôle des sociétés, pour pouvoir appuyer l’idée d’une opposition basée sur le fantasme et la science fiction. Ces deux qualificatif sont inscrits dans la synthèse du rapport.

Pour le domaine de l’économie et de l’emploi, sujet qui concentrait les craintes et les critiques : le rapport tient des conclusions sur un effet bénéfique sur les embauches. Sans pour autant s’appuyer sur une étude ou des données économiques faisant l’unanimité.

Les enjeux : Des choix sénatoriaux non représentatifs des auditions publiques

L’explication se trouve dans les priorités choisies pour fonder les conclusions du rapport : « Les enjeux financiers, économiques et industriels n’ont pas été écartés mais mis au second plan dans la mesure où ce domaine correspond moins directement à la mission et à la plus-value apportée par l’OPECST. » Et le Sénat, pour son bilan, s’est basée principalement sur l’avis de l’OPECST. Pour se justifier la sénatrice indique avoir précipité le travail d’étude en raison d’un « planning resserré ».

Si la commission n’a eu que quelques mois pour se plonger dans le sujet, Dominique Gillot cite cependant de nombreux déplacements en France et à l’étranger, auprès de spécialistes de l’Intelligence Artificielle, des chercheurs et des université. L’audition publique du 19 janvier 2017 figure bien dans cette liste des déplacements de la commission sénatoriale. Où est donc passé l’inquiétude sur les emplois et les constats relatifs à l’absence d’études fiables sur le sujet ?

En conséquence les travaux parlementaires ayant suivi se sont concentrés sur les opportunités avec notamment un débat en 2019 sur l’IA et les données de santé. L’impact en terme de baisse de l’emploi n’est plus considérée, préférant des conclusions s’appuyant sur des exemples et études partiels, mais considérés comme des analyses macro économiques.

En 2019 le Sénat rouvre enfin la question mais en la cantonnant aux services et publie son rapport « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service ». Les enjeux sont pourtant les mêmes pour l’industrie et le secteur médical. Début 2020, plusieurs sénateurs demandent la création de lois encadrant la robotique. Mais limitent les perspectives d’accompagnement à la reformation, sans s’intéresser au volume général d’emplois disponibles.

Lire aussi notre article sur les conséquences économiques de l’IA et de la robotique dans l’automobile :