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Athena de Ladj Ly et Romain Gavras interroge les logiques de la violence

Athena de Ladj Ly et Romain Gavras interroge les logiques de la violence

athena violence gavras
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Sublimer les crises en leur donnant un caractère symbolique est le fil conducteur des deux réalisateurs. Ils sortent Athena le 23 septembre sur la plateforme Netflix. Le film devient rapidement numéro 1 des diffusions en France. Un succès qui repose sur l’exposition de la crise sociale dans les banlieues, confrontée à l’hypothèse d’une manipulation extérieure. Loin d’un passe droit pour les violences policières ou d’une incitation à l’insurrection, cette fiction s’attache à désamorcer les conflits en exposant brutalement les mécanismes et conséquences de la pulsion violente.

L’environnement : Le château fort des cités

Athena est le nom d’un quartier fictif inventé par Romain Gavras et Ladj Ly. Un moyen de ne pas stigmatiser une cité en particulier tout en réunissant en un seul espace les tensions des quartiers populaires. C’est aussi une référence à la tragédie grecque qui se retrouve dans la mise en scène des compagnies de CRS multipliant les formations en tortue et partant à l’assaut des « remparts » par l’utilisation d’échelles.

Athena c’est aussi une architecture particulière qui fait penser à un château-fort coupé du reste du monde. La principale zone de tension entre les émeutiers et les CRS se déroule sur une place surélevée au dessus d’une route. Il pourrait s’agir de n’importe quelle délimitation entre l’intra-muros et la banlieue d’une agglomération. S’ajoute une mise sous pression : il n’y a qu’une seule sortie. Derrière la ligne de front : c’est le cul de sac.

L’émeute est le sujet principal. Elle commence seulement deux minutes après le début du film et se prolonge tout du long. Le rythme est intense, brutal et incarne l’effet de groupe où l’individu disparaît dans la foule. Les moments de calme n’émergent que rarement, lors des dialogues entre les personnages et dans les appartements, du moins jusqu’aux premiers dégâts collatéraux.

L'intrigue : Une exposition intelligente de la violence

Athena ne fait à pas l’apologie de la violence même si l’esthétique peut la rendre hypnotique. Bien au contraire, le réalisateur explique dans un entretien accordé à CineSerie « cette histoire aurait pu se passer du temps de la guerre de Troie, ou au Moyen-âge. On est presque dans une forme archétypale d’étude sur comment l’intimité de la douleur et de la rage va déborder sur la cité, au sens large, et sur la nation. C’est une tragédie, et on est à l’intérieur de l’étincelle qui va mener à la guerre. »

Cette étincelle c’est la mort atroce d’un enfant de 13, battu à mort. Une vidéo circule sur les réseaux sociaux et met le feu aux poudres : trois policiers sont accusés mais l’institution ne retrouve pas les individus. Face au drame les deux frères de la victime s’opposent. L’un prend la tête d’une émeute, attaque un commissariat et barricade son quartier. L’autre, militaire de carrière, tente de calmer le jeu et se retrouve pris en étaux entre les habitants des quartiers victimes des affrontements et les plus jeunes qui l’accusent d’être un pantin en uniforme.

Les comportements et réactions des personnages sont réalistes et traduisent les automatismes et rivalités idéologiques dans le cadre d’une émeute. Certains émeutiers sont convaincus de la nécessité de tuer, d’autres hésitent et renoncent. Du côté des forces de l’ordre, le réalisateur conjugue les profils violents et les fonctionnaires respectueux des principes républicains. Aucun parti n’est amnistié de ses responsabilités. Il est plutôt exposé la manière dont les individus violents de part et d’autre, conditionnent les autres vers l’escalade. Avec des meneurs et des suiveurs.

Dans le traitement de la violence, Athéna ne minore pas ses conséquences. Les habitants sont les premières victimes et appuient le caractère contre productif d’une rage aveugle : voitures incendiées, appartements ravagés et riverains contraints à la fuite. Sans compter le lot de personnage qui en espérant obtenir justice par la force, creusent leur tombe. Le récit est un drame où les auteurs de violence ne sont pas récompensés.

La narration s’accompagne d’une réflexion sur l’exploitation des tensions par la désinformation. Et si les policiers à l’origine de l’assassinat de l’enfant, n’étaient pas vraiment des policiers, quel serait le sens d’une telle escalade ? Dans un contexte d’instrumentalisation des crises sociales par l’extrême droite on pense alors à la tribune des généraux factieux en 2021. Qui pour prendre le pouvoir par l’état d’urgence, misent sur l’insurrection des banlieues. L’idée renvoi aussi vers des exemples très concrets de construction volontaire de conflit, comme la diffusion de fake news accusant des migrants d’agression dans un hôpital français en 2017. Images détournées d’une agression par un citoyen russe dans un hôpital de Novogrod. Ou encore la fausse agression antisémite dans le RER D en 2004. Autant de mise en scène qui ne visent qu’à transformer les cycles de vengeance liés à des faits divers, en guerre civile. Quitte à créer ces faits divers de toute pièce.

Dans une séquence un discret bandeau d'information indique que les identitaires manifestent en réponse à l'émeute

Et c’est là qu’intervient la phrase polémique du film, sortie de son contexte par plusieurs chroniqueurs : « à chaque fois qu’ils tuent, on tue. Ils nous parlent d’insécurité ? On va leur montrer c’est quoi l’insécurité ». Un propos que l’on retrouve parfois dans les fantasmes exprimés en marge des manifestations. Ce nœud dans les dialogues n’encourage pas à la mise à mort, mais permet à la fin de l’intrigue, d’alerter sur les actes inconsidérés et leurs conséquences dramatiques. Qui loin de permettre la justice, peuvent nourrir le projet politique de ses propres ennemis. Il s’agit de dénoncer l’instrumentalisation de la violence par des éléments extérieurs, exploitant la colère des jeunes de banlieue à des fins politiques. Le film dénonce par la même, le chaos de l’approche émotive.

L'ennemi : L’émotion qui supprime la raison :

Personnages à part entière, la peur et la colère sont un fil conducteur dans l’évolution de l’intrigue. Elles iront jusqu’à renverser les positions de certains personnages. Elles poussent aussi par le renfort de l’effet de groupe, un jeune CRS au comportement passif, vers la reproduction inutile de la violence. Il sera d’ailleurs lui même victime des coups de ses collègues lors d’une scène remarquable.

Chaque parti du conflit renforce le niveau de violence de l’autre bord dans un enchaînement qui échappe à toute rationalité. Les faits et les conséquences ne comptent plus, seul la rage s’exprime. L’atout moral de la réalisation réside dans le sort des personnages. Dans Athena, la violence ne paie pas, elle condamne ses auteurs à l’erreur ou à la défaite. On retrouve là le lien voulu par la réalisation avec les leçons du récit homérique. Romain Gavras explique à CinéSérie : « Sur Athena, on ne voulait pas s’attacher à une tragédie en particulier, à Antigone ou une autre, parce qu’on se met des carcans dans ces cas-là, on s’impose le respect et la rigueur d’une adaptation. Mais on voulait s’approcher de cette forme de récit ».

Certaines critiques voient aussi dans la narration incitant à ne pas céder à l’insurrection, un discours partisan en faveur des violences policières. Il n’en est rien : si les deux réalisateurs insistent sur l’importance des institutions dans leur œuvre, plusieurs scènes montrent sans détour la responsabilité de la Police dans la montée des violences, par un usage illégitime de la force. Lorsque des familles sont en train d’évacuer et subissent une charge policière, dans l’acharnement sur des personnes déjà immobilisées et dans la capacité à tirer sur ses propres collègues, à l’aveugle.

Romain Gavras et Ladj Ly construisent un scénario dans lequel l’extrême droite obtient l’étape préliminaire à son projet. Les colères ne sont pas condamnées mais la violence l’est à partir d’une fiction déroulant son instrumentalisation et ses conséquences.

De nombreuses personnes s’interrogent sur la mention présente à la fin du film : « à la mémoire de Bernard Moussa Gomis ». Il s’agit d’un employé de la société JMC qui travaillait au niveau de la régie du film. Malheureusement décédé le 6 février, ses proches le décrivent comme une personne très impliquée dans le tournage et appréciée par de nombreux acteurs et figurants du film. L’équipe a voulu lui rendre hommage.