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Combien gagneraient les travailleurs français si l’on supprimait les rémunérations du CAC40 ?

Combien gagneraient les travailleurs français si l’on supprimait les rémunérations du CAC40 ?

Illustration libre d'utilisation par Pixnio.com
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Une question originale pour des slogans originaux. Dans un contexte de précarité plusieurs partis politiques agitent les salaires d’un seul grand patron pour réclamer une meilleur répartition. Cette direction pourrait-elle changer le quotidien des français ? Calcul et retour sur les ordres de grandeur du CAC40.

Les faits : une rémunération totale de 258 millions d’euros

Basé sur les bilans de l’année 2021, le montant total des salaires des dirigeants du CAC40 atteint les 129 millions d’euros. La première donnée qui frappe l’esprit réside dans le fait que les situations les plus confortables sont les moins traitées par les syndicats et les partis politiques.

Le patron touchant le plus gros salaire est Carlos Tavares, à la tête du groupe Stellantis. Son salaire fixe et les bonus représentent 9 millions d’euros. Le dirigeant au plus faible salaire est Gilles Grapinet, à la tête de Worldline pour 1 million d’euros.

Si ces chiffres vous donnent déjà le vertige, ce n’est rien à côté du montant cumulant les salaires, les bonus et les titres. La rémunération totale des Présidents Directeurs Généraux du CAC40 est de 258 millions d’euros.

Le principal bénéficiaire est un homme qui échappe aux critiques : Bernard Charlès, le patron de Dassault Systèmes reçoit à lui seul la somme pharaonique de 44 millions d’euros par an. Avec une activité reposant sur les commandes de l’État Français, l’action diplomatique et militaire française, il représente le cas de figure qui pourrait faire monter les français au créneau. A lui seul il touche 17 % des revenus totaux des patrons du CAC40 alors qu’il serait incapable de faire des affaires sans la participation des services français.

Si l’on prend les rémunérations totales des PDG du CAC40 pour les redistribuer aux travailleurs français, le gain brut serait de 4€20 par personne. Si l’on redistribue le montant à la population totale, en ajoutant les retraités, les élèves, les étudiants et les chômeurs : le gain serait de 1€90 par personne. Le sujet n’est donc pas inintéressant en terme d’équité et de déséquilibre dans les revenus, mais ne constitue aucunement une solution répondant à l’augmentation du coût de la vie ou à la précarité.

Le contexte : Le nerf de la guerre dans un système capitaliste, c’est le dividende :

Les dividendes sont une redistribution des bénéfices aux différents actionnaires. Les montants et modalités sont définies par les assemblées générales des entreprises. La distribution 2021 fut colossale avec 69 milliards d’euros reversés. Comparativement, la rémunération totale des PDG représente 0,37 % des dividendes attribués aux actionnaires du CAC40. Il semblerait donc plus naturel en terme de mesures de lutte contre les inégalités, de s’intéresser à l’actionnariat avant de focaliser les enjeux sociaux autour du seul salaire du patron de Total Énergie. Rappelons d’ailleurs que le groupe est accusé de dissimuler une partie de ses profits dans ses filiales, problématique qui s’ajoute à la thématique de la redistribution. Que peut-on faire en s’intéressant aux dividendes ?

La participation des salariés au capital :

Si l’on prend l’exemple du groupe énergétique français qui fait l’objet d’une focalisation par la NUPES, la CGT et FO. Les salariés constituent 6,8 % de l’actionnariat du groupe. Ce qui leur permet d’obtenir une augmentation de revenus lors de la distribution des dividendes. Cette politique d’entreprise est un axe intéressant pour que les succès en affaire bénéficient aussi aux ouvriers. C’est d’ailleurs une mesure prise par la plupart des nouvelles entreprises qui souhaitent intégrer une dimension sociale : chaque nouveau salarié participe à l’actionnariat. Ainsi ses gains ne se résument pas à un salaire fixe.

La limite d’un tel dispositif réside dans la multiplication des recours à la sous traitance. Les salariés des sous traitants ne bénéficient pas des avantages salariaux de l’entreprise cliente.

La participation des acteurs institutionnels :

C’est aussi du côté des actionnaires institutionnels que des politiques de redistribution peuvent s’ajouter. 78% des actions du groupe Total sont détenues par ce type d’acteur. Ils peuvent réinjecter les dividendes perçus dans les politiques publiques et peuvent être conditionnés à ré-employer leur gain dans l’économie nationale.

Encore faudrait-il s’y intéresser de plus près puisque le terme rassemble à la fois les institutions publiques et les institutions privés. Il s’agit généralement des caisses d’assurance, d’épargne retraite et de l’ensemble des structures d’investissement régis par des conventions. L’État français peut en faire parti, notamment par la caisse de Dépôt et de réassurance et les investissements de BPIFrance.

La participation directe de l’État :

L’actionnariat direct de l’État dans les entreprises est un moyen d’alimenter les recettes publiques par retour d’investissement, tout en ayant un pouvoir de décision sur les secteurs stratégiques. L’Etat Francais détient des participations dans Engie, Orange, Renault, la FDJ, EDF, Thalès, Safran, Air France, ADP et Eramet pour un montant total de 124 milliards d’euros. Ces investissements méritent d’être observés par la société civile, puisqu’ils constituent une source de placements et de recettes pour l’État français qui diffère des taxations et impôts tant redoutés. Néanmoins, il faut différencier le placement rentable, des prises de capitaux pour redresser les fautes de gestion.

Par ailleurs des décisions gouvernementales sont parfois à contre courant des recettes publiques, comme la vente de la FDJ ou celle des autoroutes françaises.

La taxation des dividendes :

L’actionnariat n’est évidemment pas qu’une affaire de participation des États et des salariés. Ces deux investisseurs sont des « outsiders » dans le domaine. D’où les projets de lois sur la taxation des superprofits pour le moment cantonnés au seul secteur de l’énergie.

En France les entités recevant le plus gros volume de dividendes conjuguent les fonds américains (BlackRock) et les grandes dynasties françaises. A savoir la famille Arnault (LVMH), la famille Bettencourt (L’Oréal), la famille Pinault (Kering) et la famille Dassault.

Elles n’obtiennent pas l’intégralité des dividendes de leur groupe mais ponctionnent néanmoins une partie significative de l’économie française tout en déployant un réseau d’influence et de pression qui leur permet des amnisties fiscales. Pragma Média dans un précédant article rapporte les privilèges fiscaux obtenus en France et en Italie par la famille Pinault, à la suite des scandales financiers du groupe Kering en 2018. Chez nos voisins, 758 millions d’euros d’amnistie fiscale. Une somme 126 fois supérieure au salaire de Patrick Pouyanné, PDG de Total. La situation ne fait pas la Une des débats nationaux (Médiapart est pourtant à l’origine des révélations).

La fraude et notamment l’évasion fiscale sont désormais dans tout les esprits, mais les tentatives de résolution sont timides et souvent conditionnées aux enquêtes de la société civile. Les sommes sont astronomiques et mêlent à la fois montage financier, corruption et chantage à la délocalisation.  Notre rubrique Expression Interdite réalise une veille sur le sujet.

Les enjeux : Revendiquer sans se laisser conduire par les slogans politiques

Le capitalisme et ses différents rouages est une machine qui s’interroge. Il conviendrait cependant de le faire en respectant les ordres de grandeur si l’on souhaite permettre des gains réels pour les populations. Sans quoi l’on risque d’être l’outil des campagnes de dénigrements par des concurrents économiques, ou par une intelligence étrangère hostile. L’optique d’une focalisation sur le salaire des patrons du CAC40, appuyée d’une grève au sein des raffineries du groupe Total, apporterait seulement 1€9 par mois à chaque français tout en menaçant la distribution d’énergie.

Sources et bibliographie :

Les différents calculs exclusifs à Pragma Média sont basés sur les données collectées par Bloomberg et Zone Bourse recoupées avec les statistiques démographiques de l’Insee. Pour éviter les estimations, l’ensemble des données choisies sont celles de l’année 2021 :

https://www.planetegrandesecoles.com/le-salaire-patrons-pdg-cac-40

https://www.insee.fr/fr/statistiques/5391984?sommaire=5392045

Actionnariat de Total et de l’Etat :

https://www.economie.gouv.fr/agence-participations-etat/Les-participations-publiques

https://totalenergies.com/fr/actionnaires/action-et-dividende/structure-actionnariat