PRAGMAMEDIA-LOGO

La France refuse l’extradition d’un oligarque ukrainien accusé de corruption

La France refuse l’extradition d’un oligarque ukrainien accusé de corruption

Konstantin Jevago
Konstantin Jevago

Alors que l’Union Européenne exige de l’Ukraine une meilleur politique anti corruption, la justice française met son grain de sel. Un milliardaire accusé du détournement de 106 millions d’euros ne sera pas extradé vers l’Ukraine, selon une décision de la cour d’appel. Ils sont 84 riches exilés à couler des jours heureux sur la Côte d’Azur. On les surnomme le bataillon Monaco.

Les faits : Une bataille entre la cour d'appel et le parquet de Chambery

Kostiantin Jevago est recherché par la justice ukrainienne pour le détournement de 106 millions d’euros provenant de la Finance and Credit, alors que cette banque ukrainienne était en faillite. Il est aussi accusé d’avoir poursuivi ses affaires en Crimée après l’annexion par la Russie. En 2019 il fuit l’Ukraine pour naviguer entre Dubaï et Londres. Jusqu’à l’intervention du parquet de Chambéry qui l’arrête à Courchevel en décembre 2022, suite à son inscription sur la liste Interpol. Il comptait y passer les fêtes de fin d’année avec sa famille.

Selon le magazine Forbes, Jevago serait la 5ème plus grande fortune d’Ukraine. Il est le principal actionnaire de la société minière Ferrexpo et député du Parlement ukrainien de 1998 à 2019. D’abord en tant qu’indépendant il soutien un court moment le bloc de Yulia Tymoshenko. Jevago est originaire de Russie.

En janvier il sort de la maison d’arrêt d’Aiton en échange d’une caution d’un million d’euros. Ses deux passeports sont saisis. Il doit se présenter trois fois par semaine au commissariat. Début mars le Tribunal de Commerce de Kyiv saisit ses participations dans les usines minières de Poltava, Eristivskiy et Bilanivskiy.

Il se dit victime d’un règlement de compte politique. Ses avocats ont plaidé le 16 mars en faveur d’un refus d’extradition en raison des risques pour sa sécurité dans un pays en guerre. Le parquet a donné un avis favorable à l’extradition au motif que l’Ukraine possède des régions suffisamment éloignées des combats pour permettre le fonctionnement de ses tribunaux. Richard Pallain, l’avocat général, indique alors qu’ «Il n’y a pas de motifs de refuser l’extradition». Les avocats de Kostiantin Jevago ont rétorqué : «L’Ukraine, c’est du hors-piste judiciaire». L’affaire fut mise en délibéré au 30 mars.

La cour d’appel prononce son verdict le 30 mars. Il porte moins sur le contexte de la guerre que sur une opposition à la justice ukrainienne : « Il [l’État ukrainien] n’est aujourd’hui pas en mesure de garantir que Kostiantin Jevago sera jugé par un tribunal garantissant les libertés fondamentales ». Une situation ubuesque puisqu’en 2021 la justice française autorisait une série d’extradition d’opposants tchétchènes sur demande de la Fédération de Russie, malgré les alertes sur la terreur sévissant dans le pays et la disparition de plusieurs personnes après leur interpellation par la Police de Ramzan Kadyrov.

Le parquet de Chambéry demande un pourvoi en cassation afin d’invalider la décision de la cour d’appel.

Le contexte : Le bataillon Monaco

Comme d’autres milliardaires ukrainiens inquiétés par la justice, ou tentant de fuir la guerre, Jevago s’exile et passe notamment par la Côte d’Azur. Les enquêteurs ukrainiens appellent ces personnalités fuyant la mobilisation liée à la loi martiale « Le bataillon Monaco ». En 2022 le journal Ukraïnska Pravda identifie 84 fortunes ukrainiennes ayant un pied à terre à Monaco. On compte à la fois des opposants à Volodomir Zelensky mais aussi des soutiens au parti présidentiel.

Le refus de la guerre n’est pas le seul motif de ce pèlerinage. Outre l’enquête contre Jevago, Anastasia Kotvitska, femme de l’ex député Ihor Kotvitskyi est contrôlée à la frontière hongroise avec 28 millions d’euros en liquide dans son coffre de voiture. Son mari est d’ailleurs soupçonné d’avoir financé des groupes paramilitaires ukrainiens en 2014. Une situation qui a permis à la Russie de diffuser la propagande d’une Ukraine tenue par le nazisme.

S’ajoute plusieurs députés pro russes tels que Serhiy Lyovochkin, Yuliva Lyovochkina et Igor Abramovitch. Des personnalités politiques qui tout en étant parlementaires ukrainiens ont légitimé l’invasion de la Crimée en 2012. S’ajoutent des profils opportunistes comme Rinat Akhmetov qui a d’abord soutenu la Russie avant de changer de camp face à la réquisition par les forces russes, de ses entreprises dans le Dombass.

Ainsi la lutte contre la corruption en Ukraine, que ce soit au sujet de soutiens ou d’opposants à Zelensky, nécessitera l’accord d’extradition de la France. En attendant, le bataillon Monaco vit des jours heureux loin des tribunaux et des bombes.