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Nouveau droit à la formation pour les lanceurs d’alertes licenciés

Nouveau droit à la formation pour les lanceurs d’alertes licenciés

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Dénoncer les actes illégaux de son employeur est très compliqué. Le salarié perd généralement son emploi et la misère économique qui s’en suit joue sur les renoncements. Depuis 2021 l’Union Européenne impose aux pays membres de renforcer la protection des lanceurs d’alerte.

Les faits : un abondement du compte personnel de formation

Le Décret n°2022-1686 du 28 décembre permet à un salarié ayant perdu son emploi à la suite d’une alerte sur les activités de son employeur, de remplir son Compte Personnel de Formation. Pour cela il doit contester son licenciement auprès du Tribunal des Prud’hommes et obtenir gain de cause.

Le magistrat pourra imposer à l’employeur d’abonder le CPF du lanceur d’alerte. La date de versement est elle aussi définie par le juge. Le montant délivré ne peut excéder les plafonds définis par le Code du Travail. A noter que cette sanction n’efface pas les éventuels dommages et intérêts.

Il existe différents plafonds du CPF. Dans la plupart des situations le compte ne peut dépasser 5000 euros. Mais pour les salariés n’ayant pas de diplôme classé au niveau 3 (CAP, BEP) ce plafond est relevé à 8000 euros. En moyenne il faut 10 années de travail pour remplir son CPF.

Pourront aussi bénéficier du dispositif, les personnes ayant aidé le lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation et ayant fait l’objet, dans le cadre de leur activité professionnelle, de mesures de sanctions de la part de leur employeur.

Le décret est promulgué dans le cadre de la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique.

La définition légale du lanceur d’alerte : « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement.
Lorsque les informations n'ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l'article 8, le lanceur d'alerte doit en avoir eu personnellement connaissance. »

Pour consulter le détail et les exceptions au droit d’alerte :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000045391750

Le contexte : Une mesure inadaptée à la lenteur des procédures

Sur le principe le décret touche un point intéressant : faciliter la reconversion professionnelle du lanceur d’alerte. Mais le manque de moyens humains de la justice ne permet pas de traiter dans un délai raisonnable les procédures prudhommales. Selon le juriste Julien Goirand, rédacteur sur le site Droits.fr : entre 2021 et 2022 la durée moyenne des procédures est de 14 mois. Si le salarié souhaite faire appel de la décision de justice, la durée moyenne totale de la procédure passe à 3 ans.

Il faut parfois plus d’une année après le licenciement pour bénéficier de l’abondement de son compte personnel de formation. Difficile d’y voir une réelle incitation puisque le demandeur d’emploi doit définir son projet professionnel rapidement après son inscription sur les listes de demandeur d’emploi.

Pour renforcer la pertinence du décret il faudrait inclure dans la loi la possibilité de bénéficier d’un versement du montant sur son compte épargne, en cas de formation initiée avant la décision de justice. Ainsi le lanceur d’alerte pourrait engager les frais pour sa formation avec la possibilité de retrouver la somme.

Les enjeux : Mettre fin à la double peine

Si dans l’opinion publique les lanceurs d’alerte bénéficient d’une image valorisante, dans la pratique le salarié qui fait passer l’intérêt général avant son bénéfice personnel est généralement sanctionné par une diminution de son revenu et une pression psychologique colossale. C’est notamment le cas de Karim Ben Ali licencié en 2017 pour avoir dénoncé le déversement d’acide en pleine nature pour le compte d’ArcelorMittal. Il accuse le transporteur Suez Environnement et son agence interim dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et reprise par Le Républicain Lorrain.

Le chauffeur est ensuite licencié et subit des intimidations. Il rencontre de lourdes difficultés financières et mettra du temps avant de retrouver une situation stable. Ses deux frères, eux aussi intérimaires chez Arcelor, seront licenciés. Des situations similaires émaillent l’actualité, démontrant l’inefficacité de la loi Sapin II promulguée en 2016. Premier texte de loi hexagonal mentionnant le terme de lanceur d’alerte.

Le 17 décembre 2021 l’Union Européenne met en place la directive européenne sur le lancement d’alertes. Elle vise à inciter les pays membres à lutter contre les représailles. L’Assemblée Nationale française adopte la Loi n°2022-401 le 21 mars 2022, dite d’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte. Le décret sur l’abondement du CPF en découle. Ce chantier juridique est encore très jeune et devra être suivi pour s’adapter aux stratégies des employeurs qui préfèrent casser le thermomètre plutôt que de se mettre en conformité.

Sources et bibliographie :

– Décret relatif à l’abondement du CPF pour les lanceurs d’alerte : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046829194
– Durée moyenne d’une procédure prud’homales : https://www.droits.fr/combien-dure-une-procedure-aux-prud-hommes-2021-2022/

– Le lanceur d’alerte, qu’est ce que c’est ? https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000045391750

– Loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000045388745/2022-12-29/